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Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI
Jusqu’au 28 mai, la 59e édition de la grand-messe de l’émergence artistique en France rassemble 73 plasticiens triés sur le volet, au Beffroi de Montrouge.
Il faut habiter un moment les quelques mètres carrés réinvestis par Steeve Bauras pour éprouver le chaos qui sourde de la symétrie formelle de son installation, Novocaïne for a dogdy tune. Composée d’une sculpture en béton morcelée au sol, d’une vidéo et d’une série photographique réalisée à Dakar en 2013, cette œuvre immersive déroule une dramaturgie – rappelant que cette dernière n’est pas l’apanage de la scène – qui se diffuse en halos autour d’une vidéo mixant des extraits de Shock Corridor (Samuel Fuller, 1963), où un homme noir fait l’apologie du Ku Klux Klan, et des scènes de rue dakaroises qui ont dû être filmées par des locaux. Autour de la question du racisme intracommunautaire, les images texturées de Steeve Bauras cultivent un venin qu’il inscrit dans la «logique de prise de possession de la réalité» chère à Pasoloni ; un déplacement du regard qui ne va pas sans malaise. L’artiste, que l’on retrouvera à l’automne au salon jeune création du 104 à Paris, fait partie des 72 plasticiens sélectionnés, parmi quelque 3100 dossiers, au Salon de Montrouge, tremplin de l’émergence contemporaine.
Julien Salaud, artiste invité
Les découvertes font ainsi toute la saveur du Salon de Montrouge, qui ouvre gratuitement ses portes au public jusqu’au 28 mai, et qui attire chaque année nombre de galeristes et de collectionneurs. Les jeunes poulains du marché de l’art qui ont bénéficié du tremplin sont, par voie de conséquence, pléthore. Ce fut le cas ces dernières années de Théo Mercier, Simon Nicaise, Farah Atassi, Ivan Argote ou encore Julien Salaud, artiste invité de cette 59e édition. Ce dernier, qui compose une œuvre très personnelle à partir notamment de taxidermies, dévoile à cette occasion deux œuvres nouvelles : un Cerfaure de perles, centaure au corps de cerf, et une chevrette constellée de fils blancs dont l’apparition, saisie à travers l’ouverture d’un abri en peau de chevreuil, ne devrait pas manquer de convaincre le visiteur du caractère sublime de son bestiaire.
À la chasse aux talents
Vu le foisonnement de mise au Salon de Montrouge, que son directeur artistique Stéphane Corréard tire vers toujours plus de diversité, il faudrait être bien téméraire – ou très informé des coulisses du monde de l’art, qui est aussi un marché – pour parier sur les réussites individuelles qui viendront confirmer la réputation de l’évènement. Peut-être entendra-t-on parler de Tatiana Wolska, l’une des lauréates primées cette année à Montrouge, et dont les sculptures, nées de matériaux récupérés et organiques (chutes de bois, bouteilles de badois…), sont exposées en parallèle au Palais de Tokyo dans le cadre des Modules – Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent. Également distinguée par le jury 2014 avec ses Light Sculptures - clichés de filtres colorés utilisés par les éclairagistes et les photographes -, Virginie Gouband déroule un propos d’une belle cohérence sur la perception, l’image et le statut d’œuvre d’art.
Au-delà, on pourra notamment apprécier les peintures et dessins de Thibaut Huchard, subtiles mises en abyme des violences contemporaines ; une installation toute en rapports de force de la jeune Anne-Charlotte Yver ou l’impertinence de David Rodriguez, qui s’obstine à peindre des scènes érotiques sur des boîtes de confiseries. Quoi qu’il en soit – à condition de s’armer d’un solide bâton de pèlerin et de ne pas bouder son plaisir -, il est revigorant de voir rassembler au Beffroi – qui en devient presque exigu -, les fruits d’une création actuelle, quitte à ce qu’elle soit parfois à consolider.
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