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"Pour parler de rentrée, il faudrait déjà avoir plus de livres!" déplore un lecteur amer croisé dans une librairie de Tunis. Avec moins d'une centaine de titres parus depuis le début de l'année, il est en effet difficile de répondre par l'affirmative. La Tunisie fait pâle figure face au déferlement d'œuvres en France: entre la mi-août et fin octobre, 555 romans français et étrangers y sont publiés. L'année dernière, ils étaient 646.
La sacro-sainte "rentrée littéraire" française ne passe pourtant pas inaperçue ici. Si certains auteurs gardent la cote (Ali Bécheur ou Azza Filali), les lecteurs Tunisiens lorgnent avec curiosité ce qui se fait dans l'hexagone. Les grands noms sont attendus. "On peut dire qu'il existe un "effet rentrée littéraire". Je commande automatiquement certains auteurs comme Eric-Emmanuel Schmidt ou Amélie Nothomb, je sais qu'ils seront demandés", explique Amina Hamrouni, de la librairie Mille feuilles à La Marsa.
Sans parler d'équivalent, l'évènement littéraire attendu dans le pays, c'est la Foire internationale du livre de Tunis (qui aura lieu cette année du 25 octobre au 3 novembre). Les auteurs tentent de terminer leurs œuvres pour cette occasion. C'est le "moment littéraire" de l'année.
Que lisent les Tunisiens?
"Les Tunisiens lisent le journal mais pas beaucoup de livres. Je dirais qu'ils sont à peine 40% de la population. Les personnes qui n'ont pas fait d'études développent une sorte de complexe d'infériorité par rapport aux gens qui lisent. Essayez de feuilleter un roman dans le TGM et vous verrez les regards...", analyse Amina Hamrouni.
Peu de lecteurs et peu de production. Le livre reste un objet coûteux, qui représente un très petit marché, un tout petit milieu. Le ministère de la Culture dénombre 190 maisons d'édition et 375 bibliothèques publiques, qui manquent de nouveautés et de renouvellement pour beaucoup d'abonnés. On ne compte qu'une vingtaine de librairies à travers le pays. Seules cinq sont répertoriées auprès de l'Association internationale des libraires francophones.
Pour encourager la production littéraire, le ministère de la Culture projette de créer un "centre national du livre". "La première priorité de ce centre sera la mise en œuvre d'une véritable politique nationale en matière d'industrie du livre tunisien. Une politique qui s'adaptera aux changements du pays et aux attentes des écrivains et hommes de la culture en Tunisie", explique le ministère au HuffPost Maghreb.
Depuis la révolution, la parole et les écrits se sont libérés. Après le 14 janvier 2011, les rotatives se sont remises en route en quelques jours et les rayons ont vu fleurir quantité d'essais politiques. Des manuscrits longtemps oubliés dans les tiroirs de peur d'être censurés, des ouvrages de réflexion, des analyses sociales ou politiques ont inondé le marché au détriment des romans.
"Aujourd'hui, la littérature tunisienne, ça n'intéresse plus personne. Elle est clairement devenue le parent pauvre. La maison d'édition Cérès, par exemple, ne veut plus publier de littérature parce que la politique, ça rapporte plus!", se désespère Jean Fontaine, spécialiste de la littérature arabe et tunisienne. "De toute façon, il faut 10 ans pour qu'un courant littéraire naisse après un gros changement politique", analyse cet ancien conservateur de l'IBLA, l'Institut des Belles Lettres Arabes.
"Après l'indépendance par exemple, il a fallu plus de 9 ans pour voir émerger un courant significatif, celui de l'Avant-garde. En 1972, une loi économique a ouvert la porte aux usines étrangères, ce qui a entrainé un "capitalisme périphérique". Le courant du Nouveau Théâtre a très bien montré cette évolution de la société."
Une nouvelle génération?
Un paysage littéraire "ennuyeux", qui ne se "renouvelle pas". Les jeunes lecteurs ne sont pas tendres avec la production actuelle. "Il y a une certaine inertie. Ce sont toujours les mêmes sujets sociaux, les mêmes cartes postales. Moi je recherche un minimum d'évasion alors quand un roman m'emmène dans l'appartement d'à côté, ça le fait pas!", explique Atef Attia, un responsable administratif de 33 ans, adepte de Stephen King.
"Il existe un vivier de jeunes talents ici en Tunisie, avec de véritables plumes", argumente-t-il. Des jeunes qui s'organisent sur internet et les réseaux sociaux. Les passionnés partagent coups de cœurs et impressions de lectures sur le groupe Facebook "Les Bookers". C'est là qu'Atef Attia, a rencontré deux camarades, auteurs amateurs, comme lui. Le petit noyau a ensuite créé "Reading Corner", un coin virtuel pour lire et critiquer de courts textes rédigés dans toutes les langues. Plus de 1200 personnes ont déjà rejoint ce groupe.
En avril dernier, les trois amis sont passés à la vitesse supérieure en lançant "Pop Libris Editions", leur propre maison d'édition. Les banques se sont montrées frileuses.
"Aucune n'a voulu nous prêter la moindre somme. Il y en a même une qui nous a dit 'une maison d'édition, ça ne sert à rien! Vous ne préférez pas plutôt ouvrir un restaurant?", témoigne Sami Mokkadem, 31 ans, diplômé en expertise-comptable.
"Pop pour populaire", enchaîne-t-il. "C'est de la littérature "pop", c'est à dire un style léger à la Marc Lévy, Amélie Nothomb ou Frédéric Beigbeder. Ce sont des livres divertissants qu'on a envie de lire sur la plage ou dans un café". Un nouveau créneau en format poche à des prix accessibles: 7 ou 8 dinars.
Atef Attia vient de publier fin août le premier ouvrage, un recueil de nouvelles. Des histoires qui empruntent au polar et au fantastique, des genres peu traités dans le pays. "Ce genre de littérature n'existe pas en Tunisie, on est obligés de consommer étranger", s'exclame-t-il. Ses personnages s'appellent "Steve" ou "Olyphant Blitch". "Même si mes héros évoluent à New-York, je fais de la littérature tunisienne! Je suis Tunisien, notre maison d'édition est tunisienne, le designer qui a fait la couverture est un Tunisien", insiste le jeune auteur.
Ces trois passionnés n'attendent aucun profit. "On veut juste donner leur chance à de jeunes auteurs parce qu'on doit être boudés par les maisons d'éditions traditionnelles. Il y a beaucoup de préjugés sur le polar, le thriller ou les comédies romantiques. Elles doivent penser que ça ne marche pas", lâche Souha Cherni, la troisième associée, une étudiante en médecine âgée de 23 ans.
Un casse-tête pour se faire publier? C'est en tous cas ce que dénonce Mehdi Mahfoudh, un jeune médecin tunisien, qui vient de publier son premier roman... en France. Il est déjà l'auteur de six recueils de poésie parus aux Editions Baudelaires.
"Le choix de l'édition en France s'impose de soi même, l'édition tunisienne pour les livres en langue française est rudimentaire et obéit encore malheureusement aux préceptes de "je t'édite parce que je connais le père de la cousine de ton neveu!" et non à la qualité du produit proposé. La littérature actuelle en Tunisie est agonisante, à l'image de la culture de ce pays".
Lire et écrire...mais dans quelle langue?
Mehdi Mahfoudh écrit en français, les jeunes auteurs de "Pop Libris" également mais se disent prêts à publier en arabe. La question de la langue est cruciale. "Le nombre d'essais politiques en langue arabe est en train de grimper", selon Jean Fontaine: aujourd'hui 75% de la production littéraire est écrite en arabe classique, 25% en français.
Des langues qui véhiculent des valeurs pour de nombreux lecteurs. "J'ai arrêté de lire en arabe assez jeune parce que cette langue a été instrumentalisée. Elle est devenue une langue de bois. Du coup, mes yeux se sont habitués à lire de gauche à droite. Depuis deux ans, on commence à se réconcilier avec l'arabe, je relis quelques livres", explique la libraire Amina Hamrouni.
Comme pour le théâtre, la solution serait-elle d'écrire en "derja", le dialecte tunisien? Une piste évoquée par plusieurs auteurs et libraires comme moyen de réconcilier les classes moyennes avec la littérature.
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