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La société gérant la radio tunisienne Kalima se met en redressement judiciaire, moins d’un an après son démarrage. Trois millions de dinars ont été injectés, mais les caisses sont vides. Les journalistes et techniciens de la station n’ont pas été payés depuis juillet et observent actuellement un sit-in. Les fournisseurs sont en attente de paiement depuis des mois.
Pour justifier ce redressement judiciaire, le directeur de la radio évoque son refus d’alignement partisan et les revenus publicitaires pratiquement nuls. Ces arguments sont cependant rejetés par l’actionnaire principal et les observateurs qui connaissent la station.
Radio Kalima en faillite. L’information n’étonne qu’à moitié.
A son démarrage le 31 octobre 2012, le couple fondateur (Sihem Ben Sedrine et son époux, directeur de la station, Omar Mestiri) ambitionnait de faire rapidement de Kalima la radio la plus écoutée en Tunisie. On annonçait déjà la couleur, avec le slogan : « Une touche de crédibilité dans les médias tunisiens ». Entendez, les autres ne le sont pas vraiment. Un slogan qui trouve son origine à l’historique de la radio du temps de l’ancien régime, lorsqu’elle était pirate. Mais aussi à cette charte prévalant l’indépendance éditoriale de la radio. A la direction, on se considère précurseurs en Tunisie dans l’autorégulation des médias.
Pour Sihem Ben Sedrine, les autres médias « ceux laissés en héritage par la dictature devaient faire de même ». En clair, sa radio était le modèle à suivre.
Depuis son démarrage, près de trois millions de dinars ont été investis dans la radio. Sa société fondatrice a un capital d’un million de dinars, détenu majoritairement par Nasr Ali Chakroun, homme d’affaires réputé, un peu trop proche du CPR. Aujourd’hui, elle enregistre un endettement de 1,8 million de dinars, nettement supérieur au capital. Par ailleurs, Omar Mestiri, dans un communiqué rendu public ce jeudi 19 septembre 2013, a précisé que le montant des dépenses en salaires est de 80.000 dinars par mois ce qui représente près des deux tiers des dépenses. En huit mois, la dépense en salaires serait de 640.000 dinars pour un total de dépenses de 960.000 dinars. On est loin des 3 millions de dinars investis et des 1,8 million de dinars de dettes…
En parallèle, les investissements publicitaires sont quasi-nuls. Ces engagements ne laissent pas beaucoup de choix à la direction. Soit les actionnaires injectent des fonds, s’ils continuent à croire au projet, soit elle met la société en redressement judiciaire, une étape précédant le sauvetage (avec la nomination d’un administrateur judiciaire autonome) ou la faillite.
Comment expliquer cette chute ? « Cette situation est le tribut que Radio Kalima a payé pour son indépendance et le refus de l’alignement partisan », indique Omar Mestiri, dans le communiqué d'aujourd'hui. A l’entendre, « sa radio s’est attachée à fournir aux citoyens les éléments les plus pertinents pour analyser objectivement cette transition démocratique et a fait, du respect des standards professionnels, sa première exigence ».
Concrètement, les observateurs savent parfaitement que ces propos ne sont vrais que sur papier. Dans les faits, plus d’une fois, Kalima a failli à sa mission de respect de la déontologie. Il ne s’agit pas de ces informations erronées diffusées sans vérifications, ce sont des erreurs et aucun média ne peut y échapper. Il s’agit de ces règlements de compte sur antenne opérés par Sihem Ben Sedrine. Des règlements de compte visant des confrères catalogués, à tort et à travers, comme étant des « azlem ». Zyed Krichen, qui a toujours pris ses distances avec l’ancien régime, en sait quelque chose. Il s’agit aussi de ces affaires juridiques traitées à la tête du client, s’il plait ou pas à la fondatrice. Le directeur d'un journal électronique en a fait les frais. Quand il a été condamné par contumace pour un article de presse à quatre mois de prison ferme, Sihem Ben Sedrine n’y voyait que justice. Mais quand il a été blanchi par la justice, la fondatrice n’a pas daigné en toucher un mot. Et quand son journaliste a traité l’affaire en toute neutralité, il a été censuré.
Il n’y a pas que cela. Les sorties de Mme Ben Sedrine aux côtés des LPR et du CPR et sa proximité avec Moncef Marzouki ont fini par déteindre sur la radio et sa ligne. Idem son historique d’avant la révolution et les financements étrangers dont elle a bénéficié durant des années.
Les journalistes de Kalima, ou une majorité d’entre eux, du moins, ont bien voulu respecter cette charte de déontologie et le respect de la profession, mais leur fondatrice donnait le mauvais exemple à travers ses sorties publiques. Petit à petit, leur travail devenait inaudible, voire, décrédibilisé et l’image de Kalima était trop collée à Sihem Ben Sedrine.
Outre ce problème d’ordre éditorial, des salariés de Kalima nous font part du népotisme qui entravait la bonne marche de la radio. Des membres de la famille de Omar Mestiri et de Sihem Ben Sedrine auraient été recrutés et leurs relations auraient été conflictuelles avec le personnel de la boîte. L’absence de visibilité et de ligne claire de la direction, lors des réunions de rédaction, désorientaient les journalistes et animateurs, nous confie-t-on.
A tout cela s’ajoute la conjoncture économique par laquelle passe le pays et la chute des investissements publicitaires. Un problème qu’affrontent l’ensemble des médias, tous types confondus. Certains ont mis la clé sous la porte (notamment dans la presse imprimée et électronique, mais aussi dans l’audiovisuel) et d’autres continuent à résister.
Vu que la direction n’est pas du tout responsable de cette conjoncture économique, les actionnaires auraient pu injecter des fonds supplémentaires et sauver la radio. Cela se voit régulièrement, dès lors que l’on s’aperçoit que la direction a bien fait son travail et n’est pas responsable de la « faillite ».
Or ce n’est pas le cas présent et l’actionnaire principal, Nasr Ali Chakroun, accuse, clairement, la direction de l’état des lieux de la radio.
Dans une déclaration à nos confrères de Hakaek, ce jeudi 19 septembre 2013, M. Chakroun déclare que « seul Omar Mestiri est responsable de la situation actuelle. Il a été convenu d’un business plan pour comprimer les dépenses et améliorer les revenus, mais M. Mestiri n’a pas respecté cet accord », d’après lui.
Nasr Ali Chakroun insiste sur le fait qu’il faudrait trouver une solution rapidement afin de sortir de la crise avec les moindres dégâts. Une solution est envisageable et il aurait pu prendre le chemin qu’a choisi Moncef Sellami avec le quotidien Le Maghreb qui a connu de graves problèmes de gestion il y a quelques mois. L’homme d’affaires, actionnaire à hauteur de 10%, a alors écarté totalement l’ancienne direction du journal et a pris les rênes de la société. Il a accepté d’injecter des fonds et il a refusé la solution du redressement judiciaire et de prendre le risque que le journal ferme. Pari réussi jusque-là pour Moncef Sellami.
Le fait que la licence radio soit au nom de Sihem Ben Sedrine rend-il cette solution impossible pour Kalima ? M. Chakroun croit-il encore à la viabilité du projet et de ses fondateurs ? On ne sait pas.
La solution du redressement judiciaire n’est pas la meilleure en tout cas et éloigne les espoirs d’un vrai sauvetage durable. Elle protège surtout les dirigeants des poursuites judiciaires lancées par les créanciers. Dans une entreprise ordinaire, la solution est envisageable, mais les choses sont différentes pour un média.
Omar Mestiri reste cependant ouvert aux propositions de sauvetage et à l’injection de fonds de la part d’investisseurs. Mais quel investisseur voudrait d’un projet dont l’actionnaire principal ne veut plus ? Si la direction actuelle (impossible à limoger vu l’histoire de licence) n’a pas respecté le business plan avec son premier actionnaire, le respectera-t-elle avec les nouveaux ? Si la fondatrice a nui à la radio par ses déclarations et son comportement, lors de ses premiers mois, arrêtera-t-elle sa nuisance ensuite ?
Le scepticisme est de mise. La solution est à trouver ailleurs que dans les pistes ordinaires de sauvetage d’entreprises, car une radio n’est pas une entreprise ordinaire, vu la spécificité du projet, vu la ligne éditoriale à tenir et vu la licence détenue par une personne physique et non une entité morale.
Un média qui ferme n’est jamais une bonne chose et devrait être vécu comme un drame, surtout dans une démocratie naissante comme la Tunisie. La situation n’en est que plus compliquée quand on pense à ces dizaines de journalistes, sans salaire depuis deux mois.
Raouf Ben Hédi
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