La Tunisie peine à récupérer l’argent volé déposé en Suisse

Quatre ans après la chute du dictateur tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, le pays court toujours après les fortunes volées par le chef de l’Etat déchu et son entourage.

Dans une enquête menée par sa rédaction, le site suissinfo, rappelle d’abord que, dans le sillage de la révolution tunisienne, et suite à une demande tunisienne d'entraide judiciaire et dans l'attente d'une enquête criminelle fédérale, le gouvernement suisse a gelé quelque 60 millions de francs suisses, soit l’équivalent de 61, 750,000 dollars soupçonnés d'être "blanchis" ou acquis via une "participation à une organisation criminelle». Les autorités suisses ont parlé de 48 membres du clan Ben Ali, y compris l’homme d’affaires Belhassen Trabelsi, frère de l'épouse de l’ex chef de l’Etat, Leïla. Trabelsi a été condamné par contumace pour activités criminelles à plusieurs reprises en Tunisie.

Au mois d’avril dernier, le Bureau du Procureur fédéral (BPF) a ordonné la restitution précoce de 40 millions de dollars des fonds de Trabelsi à la Tunisie, après avoir jugé que l'origine criminelle des fonds avait été "suffisamment établie". Mais après que la décision a été infirmée en appel en décembre dernier par le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone, qui a constaté que le droit de Trabelsi d'être entendu a été violé, les avocats suisses mandatés par la Tunisie ont reproché au bureau du procureur son «manque de diligence".

À ce jour, seulement deux avions, deux yachts et 28 millions de dollars déposés au Liban par Leïla Trabelsi ont été récupérés. C’est un maigre résultat au regard du rapport publié le mois dernier par la Banque mondiale affirmant que l'ancien dictateur corrompu a manipulé la loi pour servir ses propres intérêts - et ceux de son entourage - au point de contrôler plus de 21% des profits générés par le secteur privé tunisien à la fin de 2010.

Yves Klein, avocat agissant au nom du gouvernement tunisien, a fait remarquer que l'enquête sur l'origine des fonds gelés progresse trop lentement.

"Rien n’a été fait pendant un an et demi. Pour déterminer les origines des fonds de Belhassen Trabelsi, il faut se rendre en Tunisie et travailler avec les autorités locales. Mais le procureur chargé de l'affaire n’y a été qu’une seule fois en quatre ans. Dire que nous sommes déçus est un euphémisme ", a souligné Klein.

Une porte-parole du BPF, Jeannette Balmer, a affirmé que l'enquête, menée à la fois localement et en collaboration avec la Tunisie, va se poursuivre.

"Le BPF pris note de ces décisions et recommencera les procédures [...] en vue de déterminer avec plus de précision, l'origine de ces fonds», explique Balmer. "En soi, la décision [de la Cour pénale fédérale] ne remet en cause ni le droit légal ni la volonté du BPF de restituer les fonds en question à la Tunisie. Le procureur va poursuivre l'enquête et fixer les dates des audiences ".

Pendant ce temps, l'avocat de Trabelsi , basé à Genève, Jean-Marc Carnicé, soutient mordicus que les fonds bloqués par la Suisse ont été légitimement acquis par son client et accuse le BPF de faillir à examiner les preuves.

«J’ai présenté des arguments qui visent à démontrer que les fonds [...] sont légitimes et ne sont pas le fruit d'activités criminelles», a dit Carnicé. «Je ai des contrats, des documents qui montrent que l’argent provient d’activités commerciales. Ces éléments n’ont pas été examinés par le procureur. L‘ont-ils été? Je l’ignore. "

Des sources indiquent que le procureur chargé de l'affaire au BPF devrait quitter son poste bientôt, une perspective qui pourrait accélérer la gestion de l'affaire à l'avenir. Balmer a refusé de confirmer cette information ou de révéler si un successeur a été désigné.

Au plan diplomatique, la position suisse reste inchangée. En mars, l'ambassadeur de Suisse en Tunisie, Rita Adam, et le nouveau ministre tunisien de la Justice, Mohamed Salah Ben Aissa se sont rencontrés et "confirmé notre volonté de travailler ensemble", selon Adam.

«La volonté politique pour restituer cet argent à la Tunisie est intacte, tant qu'il a été établi que ces fonds sont d’origine criminelle», a-t-elle souligné "Les fonds sont bloqués pour permettre à la justice de suivre son cours. Ce sont des enquêtes très complexes, qui prennent du temps. Les appels, en eux-mêmes, sont parfaitement chose normale dans un Etat de droit ".

Mouheb Garoui, directeur d’IWatch, une association tunisienne créée dans la foulée de la révolution pour combattre la corruption et promouvoir la transparence, a indiqué que ce n’est pas la coopération suisse - « la meilleure, avec celle de la France" - qui pose problème, mais "la totale absence de volonté politique " en Tunisie.

"Il n'existe aucune stratégie. Nous ne savons pas qui fait quoi. Le mandat de la Commission nationale du recouvrement des avoirs spoliés a pris fin en mars dans l'indifférence générale ", a-t-il dit. "Pendant ce temps, le pays emprunte de l'argent auprès de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Les magistrats tunisiens font de leur mieux avec les moyens à leur disposition, étant donné qu’il s’agit d’un nouveau domaine pour la Tunisie ".

Garoui reconnaît que, au bout du compte, l’affaire est un processus «technique», néanmoins, il a demandé à la Suisse d’accroître son soutien.

"Les juges suisses doivent venir en Tunisie pour rencontrer les gens et se forger une idée sur la situation médiocre qui prévaut dans certaines régions," dit-il. "Les gens vont leur dire qu'ils ont besoin de cet argent. Le soutien de la Suisse est nécessaire, en particulier au cours de cette phase de transition. "

Changement de stratégie

Avec les appels qui vont être interjetés, il semble peu probable que les fonds bloqués par le gouvernement suisse soient restitués à la Tunisie dans un proche avenir. En attendant, les avocats mandatés par le gouvernement tunisien se concentrent sur ceux qui ont accepté de l'argent présumé d’origine criminelle. Le 19 mars, le pays a officiellement demandé à se joindre à l’affaire de blanchiment intentée par le procureur de Genève contre HSBC Suisse, ouverte en février dans le sillage de l'affaire révélée par SwissLeaks.

La Tunisie réclame à la banque 114.5 millions de francs suisses plus les intérêts, pour avoir accepté les avoirs de Belhassen Trabelsi. Ce montant, qui a été déterminé par les avocats sur la base des informations avérées dans le cadre de la procédure pénale fédérale, correspond aux fonds qui ont transité par les comptes de Trabelsi chez HSBC et les commissions prélevées par la banque, estimées à deux pour cent des fonds gérés, soit quelque 8.4 millions de francs suisses. "Les actes commis au sein de HSBC sont tout aussi graves, car ils ont eu lieu entre 2006 et 2011, lorsque la corruption qui régnait en Tunisie dans le cadre du clan Ben Ali-Trabelsi n’était pas seulement notoire, mais avait été spécifiquement signalée à la direction par les propres services de la banque chargés du processus de conformité ", souligne la plainte déposée par les avocats mandatés par la Tunisie. HSBC s’est abstenue de tout commentaire, précise l’enquête de swissinfo.

 

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