Le Songe d’une nuit d’été

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Champêtre et forestier, vert comme les frondaisons, est généralement Le Songe d’une nuit d’été. Celui que propose Laurent Pelly est totalement nocturne, n’a que la couleur de la nuit. Mais ses ténèbres sont joyeuses, piquetées de lumières d’étoiles mouvantes, éclairées par une lune qui change régulièrement de couleur. L’espace est le plus souvent vide, pour n’être qu’un terrain de jeu pour des acteurs trépidants et pour des spectateurs invités à imaginer ce que leur cache parfois le clair-obscur.

L’action se passe en un temps intemporel, plus proche de nous que de la Renaissance. Les hommes portent des tenues claires qui tiennent du pyjama ou du survêtement au tissu lumineux. Les femmes aussi. Les êtres surnaturels changent d’apparence, ils peuvent être transformés en faunes, en grand insectes ou en créatures merveilleuses. Des vélos, des draperies, la couche royale de Titiana en forme de conque surgissent et s’éteignent dans le noir. Deux lits à roulettes sont les accessoires qui restent le plus longtemps en scène, comme pour nous dire que la pièce de Shakespeare est un rêve de dortoir, une bataille de polochons sublimée par les songes et les désirs qui y prennent naissance.
 

Comme pour son précédent Shakespeare, Macbeth, Laurent Pelly a tout fait : la mise en scène, la scénographie et les costumes. Il a choisi à nouveau la traduction de Jean-Michel Désprats (parfaite) et il s’est libéré des traditions qui entourent la pièce. Il a vu là beaucoup de sensualité, et il ne se trompe pas, évidemment. L’homme à tête d’âne dont s’éprend Titiana sous l’effet d’un enchantement, c’est la sexualité même et la mise en scène n’hésite pas à croiser impudiquement les corps de l’âne et de la fée. Pelly voit aussi d’autres sous-entendus (si peu sous-entendus ! ) dans le texte et il ne se prive pas de jouer avec les mots et les gestes. Le « Songe » tel qu’il le voit est une double explosion des corps : un appel incessant du désir et une course poursuite où chacun échappe à soi-même en dépassant ses limites. Mais, régulièrement, la folie païenne s’apaise pour trouver une forme d’élégance et de civilisation qui prend ses références du côté de la comédie musicale américaine : Titiana, en robe longue et noire, chante des standards de Broadway.
 

Laurent Pelly est un magicien de l’espace, de l’image, de l’illusion, qui recourt volontiers à des techniques complexes : Titiana et Obéron sont portés à bout de grue dans les airs où ils tourbillonnent en parlant du complot qu’ils trament ! Mais les acteurs demeurent, dans cette féerie visuelle, profondément charnels, physiques, sanguins.

 

Marie-Sophie Ferdane est une Titiana magnifique, si réelle et si irréelle à la fois, vamp et fée en même temps. Laurent Meininger est un Obéron d’une grande puissance, sarcastique, terrien et aérien. Les jeunes comédiens qui jouent les jeunes gens d’Athènes sont remarquables : Jeanne Piponnier (Héléna), Antoine Raffali (Démétrius), Sabine Zovighian (Hermia), Clément Durand (Lysandre). Le rôle du malin Puck a été confié à une actrice, Charlotte Dumartheray, qui déploie beaucoup de singularité et une belle acidité comique. Pour la plupart, les acteurs impliqués dans ce rêve éveillé travaillent souvent avec Laurent Pelly, tels que Rémi Gibier, Emmanuel Daumas, Eddy Letexier… On les retrouve avec plaisir, tandis qu’on découvre dix-sept élèves du Conservatoire qui assurent une fort belle présence tourbillonnante.
 

On sait que la pièce fonctionne sur deux tons, la féerie provocatrice (ou libératrice : tout est permis ! ) et un mélange de farce et de satire qui se paye la tête des mauvais acteurs. Laurent Pelly n’a pas négligé ce deuxième aspect. La charge contre les histrions est irrésistible et rejoint la dualité de ce spectacle qui épouse bien, à travers une imagerie moderne inspirée, la philo-fantaisie de Shakespeare : la sagesse ne s’obtient qu’après avoir éprouvé les délices et les abysses de la folie. Et la déraison rôde toujours dans l’ombre de la raison !
 

Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, traduction de Jean-Michel Désprats, mise en scène, décors et costumes de Laurent Pelly, conseil artistique d’Agathe Mélinand, lumières de Michel Le Borgne, son de Joan Cambon, maquillages et coiffures de Suzanne Pisteur, avec Emmanuel Daumas, Charlotte Dumartheray, Clément Durand, Gérôme Ferchaud, Marie-Sophie Ferdane, Rémi Gibier, Eddy Letexier, Régis Lux, Laurent Meininger, Benjamin Meneghini, Jeanne Piponnier, Antoine Raffali, Matthieu Tune, Nathalie Vidal, Sabine Zovighian et les élèves du 3e cycle du Conservatoire de Toulouse.
 

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