Tunisie : le festival de cinéma de Carthage maintient sa programmation

By www.touwensa.net novembre 25, 2015 476

L’attentat, qui a frappé le cœur de Tunis mardi 24 novembre et fait au moins douze morts, n’y a rien changé. Les organisateurs des Journées cinématographiques de Carthage (JCC – qui se tiennent en Tunisie jusqu’au 28 novembre – ont décidé de maintenir leur programme afin de redonner de la verdeur à ce rendez-vous du cinéma arabo-africain qui fut jadis une référence avant de s’étioler. « Il s’agit d’un retour aux sources, de réancrer le festival dans son identité d’origine », affirme Ibrahim Letaïef, le directeur de l’édition 2015 des JCC. L’avenir dira si l’ambition n’est pas trop démesurée.

 

Manifestations parmi d’autres de cette nouvelle hardiesse revendiquée, le film controversé Much Loved du réalisateur marocain Nabil Ayouch sera diffusé, faisant de la Tunisie le premier pays du Maghreb à oser cette audace. Plusieurs projections auront lieu dans des maisons de la culture des régions délaissées de la Tunisie de l’intérieur. C’est une conséquence de la Révolution de 2011. Les JCC veulent sortir du cercle des happy few des quartiers huppés de Tunis.

Les JCC sont nées en 1966 d’une idée du critique Tahar Cheriaa, figure du mouvement tunisien des ciné-clubs en Tunisie. « Le projet était de permettre à l’Afrique de créer sa propre image face à la cinématographie étrangère », explique Ibrahim Letaïef. En cette année fondatrice, La Noire du Sénégalais Ousmane Sembène remporte le premier prix (Tanit d’or). L’air du temps est au tiers-mondisme et au combat pour une Afrique émancipée.

 

Le rendez-vous de Carthage était le frère jumeau du festival de Ouagadougou (Fespaco). L’inspiration s’essoufflera pourtant au fil des années. Dans les années 1990 puis 2000, les JCC se résument à un événement purement mondain dans une Tunisie muselée par la dictature de Ben Ali. « C’était devenu un festival glamour avec pour référence les vedettes des feuilletons télévisés égyptiens », se souvient Ibrahim Letaïef.

De nombreux cinéastes africains – le Burkinabé Gaston Kabore ou les Maliens Souleymane Cissé et Cheick Oumar Sissoko – abandonnent alors un festival qui s’affadit. Cette notabilisation des JCC n’est en fait que le reflet d’une crise profonde du cinéma en Tunisie à partir des années 1980. Le mouvement des ciné-clubs – le pays en compta jusqu’à 52 – périclite tandis que la privatisation des salles de cinéma n’offre que des productions commerciales médiocres.

« L’Etat autoritaire de Ben Ali ne voulait pas de cinéma d’auteur, il ne voulait que du divertissement », résume le cinéaste et dramaturge Moncef Dhouib. Cette logique purement commerciale où s’épanouissent western-spaghettis ou « érotisme à deux balles », ajoute Moncef Dhouib, contribue à « disloquer le public familial ». La présence de jeunes gens émoustillés ne suffit pas à compenser les désertions. Puis, l’arrivée des cassettes vidéos achève de dégarnir les salles. De 120, leur nombre chute à une douzaine dans tout le pays.

« Vous vous rendez compte, nous avons en ce moment en Tunisie cinq mille mosquées et vingt mille cafés mais seulement douze salles de cinéma », déplore Moncef Dhouib. « Arrêtons d’éteindre les lumières », proclame la bande-annonce de cette édition 2015 des JCC. Espoir d’un renouveau, Moncef Dhouib vient de restaurer et de rouvrir le Cinévog du Kram – banlieue nord de Tunis – l’un des haut-lieux du cinéma populaire des années 1950 et 1960. A Bizerte, la salle Le Majestic a également rouvert en octobre.

Un an plus tôt, l’Agora à La Marsa – autre banlieue nord de Tunis – avait aussi permis aux cinéphiles de retrouver le chemin des salles. Quelques rayons de lumière dans un décor en ruine. Le festival de Carthage permettra-t-il à convertir ces quelques cas isolés en une authentique renaissance ?


 

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