À peine j'ouvre les yeux: Leyla Bouzid capte la fureur de la jeunesse tunisienne

By www.touwensa.net décembre 23, 2015 384

Fille d'un cinéaste célèbre dans son pays, cette trentenaire devrait vite se faire un prénom avec À peine j'ouvre les yeux, un premier long métrage sur la jeunesse sous l'ère Ben Ali. Émouvant et bourré d'énergie.

Hier

Son père, Nouri Bouzid, compte parmi les plus éminents réalisateurs en Tunisie. C'est toutefois sa mère, médecin généraliste, qui emmenait le plus souvent Leyla en salle ou lui proposait des soirées Arte cinéma. Premier choc vers 14 ans, avec Citizen Kane. Deuxième choc avec Sonate d'automne, de Bergman. Et les films de papa? "Je les ai vus plus tard, sourit la volubile trentenaire en agitant les bras. J'ai même joué dans l'un d'eux, Tunisiennes."  

Dans un premier temps, l'ado songe à devenir chef op. "Avec ton 1,50 m et tes frêles épaules, personne ne voudra de toi", soutenait son père. Elle s'entête un moment, avant de prendre conscience que la réalisation et la direction d'acteurs l'attirent davantage. Direction Paris, où elle étudie les lettres à la Sorbonne, avant d'intégrer la Fémis. À sa sortie, Bouzid senior l'engage comme scripte sur Millefeuille et elle bosse en renfort mise en scène sur La vie d'Adèle, de Kechiche. Mais surtout, elle se consacre à l'écriture de son premier long avec une copine de cours. Hors de question que papa y mette son grain de sel. "Il faut bien que je m'en affranchisse, non?"  

 

Aujourd'hui
 

Quand la révolution tunisienne éclate fin 2010, journalistes et cinéastes s'empressent de filmer l'événement. "Mon réflexe a été inverse, analyse Leyla. Je me suis dit que le cinéma allait enfin avoir la liberté de parler des années Ben Ali. De cette atmosphère étouffante, de cette paranoïa au coeur d'un État policier: découvrir que l'un de mes amis était un indic m'a totalement bouleversée."  

Centré sur Farah, 18 ans, chanteuse insoumise, À peine j'ouvre les yeux plonge dans un Tunis underground. La cinéaste a voulu insuffler l'énergie de la jeunesse et de la révolte dans son film. "Une énergie proche de celle qu'il y a dans Head-On, de Fatih Akin. J'ai donc tourné uniquement en décors naturels. Avec, en guise de figurants, les vrais clients d'un bar ou d'une gare routière. J'ai aussi laissé certaines scènes chantées - rock, rap - dans leur intégralité. La fureur qui s'en dégageait importait plus que la justesse." Son souhait? Que la jeunesse tunisienne se reconnaisse dans son film, qu'il donne envie de créer et de se battre à tous ces artistes encore sous-représentés dans les médias de leur pays.  

 

Demain

"Réaliser un long métrage demande une énergie phénoménale", explique Leyla. Il me semblait impensable de réfléchir au prochain tant que celui en cours n'était pas achevé. Il fallait d'abord que je recharge les batteries." Les prix du public qu'À peine j'ouvre les yeux a récoltés aux Festivals de Saint-Jean-de-Luz et de Venise l'a remotivée. La cinéaste se dit plus sereine, plus capable d'envisager la suite. Elle réfléchit à un sujet totalement différent. À un film sur le couple. À des histoires de désirs et de sexualité dans les pays arabes.  

"Même dans l'intime on peut toucher au politique, estime-t-elle. Loin de moi, toutefois, l'idée de ne faire que des fictions politiques. Je n'ai aucun plan de carrière. J'ai traité les rapports mère-fille dans l'un de mes courts et dans ce premier long, j'ai l'impression d'en avoir fait le tour. Être cinéaste, c'est savoir se renouveler, préserver le désir. Comme Bergman ou Kurosawa, des maîtres dont j'espère modestement pouvoir un jour arriver à la cheville."  

À peine j'ouvre les yeux, de Leyla Bouzid, avec Baya Medhaffar, Ghalia Benali... Sortie: 23 décembre

 

 

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