Les coulisses de la mode: un flair pour la beauté

Isabelle Morin

Dans un bureau du centre-ville, trois personnes s'affairent au téléphone et à leur écran, accompagnées en sourdine par les tubes de l'heure. L'ambiance est étonnamment calme... Oubliez les agents hystériques caricaturés dans les films et entrez plutôt dans l'univers de Next Canada, l'agence de mannequins de Didier Belleguic.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur un espace lumineux et épuré. Aux murs, une enfilade de visages jeunes et beaux vient briser la blancheur des lieux. Ces visages sont ceux des mannequins de l'agence, uniques vedettes des lieux. C'est dans ce cadre que Didier Belleguic, codirecteur de Next Canada avec son partenaire Thierry Tally, accepte de se soumettre à une séance de photos pour les besoins de notre article. Non sans malaise. Poser est une spécialité qu'il laisse aux mannequins qu'il recrute et dont il gère la carrière. L'agence en compte 80. Les quarts sont des filles dont l'âge oscille entre 15 et 35 ans.

Fut un temps où tout cela était à mille lieues de son univers. Comptable de formation, il a quitté Paris dans les années 80 pour gagner Los Angeles. Là-bas, il s'est initié à la photographie, captant sur pellicule la binette de sa soeur, alors mannequin, et celles d'autres artistes.

Une décennie plus tard, il migre vers Montréal et y obtient quelques petits contrats de photo. Puis, il entend parler de scouting (terme employé dans le milieu pour parler de casting sauvage) par un ami qui est lui-même recruteur pour de petites agences. Il commence ainsi sa recherche de nouveaux visages, jusqu'à ce que les deux acolytes décident d'ouvrir, à Montréal, une filiale du groupe Next, un réseau d'agences de mannequins placées dans les grandes capitales de la mode. Suivront les bureaux de Toronto et Vancouver.

Quatorze années se sont écoulées depuis, durant lesquelles il n'a jamais regretté son ancienne vie. «La comptabilité est un milieu rigide, et moi, j'ai un brin de folie»

 


Une part de folie et beaucoup d'organisation

Folie, peut-être... Mais c'est surtout son sens des affaires et de l'organisation qui lui est utile pour gérer le quotidien. Tôt le matin, il arrive au bureau pour répondre à ses courriels et aux demandes venant de l'étranger, avant d'enchaîner avec ses autres tâches, rencontres avec de nouveaux postulants, placement de mannequins pour des contrats, échanges avec les agences soeurs au pays ou à l'étranger, appels à ses poulains... «Il y a une grande part de logistique dans mon travail. Il faut penser à tout! Ça peut être de négocier un contrat pour un mannequin, autant que de le conseiller sur ses choix vestimentaires pour une audition», affirme Didier.

Et puis, il y a une part de stratégie et de doigté. «L'image est tellement importante dans ce métier! Une personne peut être grillée parce qu'elle a accepté un mauvais contrat.» D'ailleurs, il lui arrive régulièrement de refuser des demandes parce qu'elles ne correspondent pas à ce qu'il projette pour un mannequin. Avec tact et savoir-faire, bien sûr.

 


Sur le radar

Où déniche-t-il ces visages dont les traits traceront les nouveaux standards de beauté? «L'agence est très sollicitée. Je reçois 10 à 15 applications par jour, facile. Mais il m'est arrivé une fois, en 15 ans, de dénicher une mannequin de cette façon. » Pour recruter, il se fie plutôt aux quatre scouts engagés par l'agence pour pister les perles rares qui lui seront ensuite envoyées au bureau. Je vois à l'oeil si quelqu'un a ce qu'il faut ou non [...]. Parfois, ce sont des filles qui ne font pas tourner les têtes, mais dont la beauté se révèle en photo», explique-t-il. La photogénie se confirme ou non par la suite, grâce à des photos sans artifices appelées polaroïds, en référence aux anciennes méthodes.

Si une nouvelle recrue a ce qu'il faut et qu'elle est intéressée, tout peut alors débouler très vite.  Les plus prometteuses seront rapidement envoyées à l'étranger, les autres seront placées sur le marché local. Dans les deux cas, elles apprendront sur le tas. On fait travailler nos mannequins ici, mais le but est de leur bâtir de grosses carrières, de les faire travailler. Au niveau financier, c'est aussi plus intéressant.»

D'autant que la carrière de mannequin commence à un jeune âge, mais qu'elle est relativement éphémère, les mannequins au physique plus commercial pouvant espérer avoir encore quelques contrats à 30 ou 35 ans. «Quand ils sont intelligents, ils prévoient autre chose pour la suite», souligne Didier.

Les mannequins sont en eux-mêmes de petites entreprises. C'est à eux que revient le soin de gérer leur outil de travail et leurs finances. Son mandat, à lui, est de développer leur carrière intelligemment et de leur trouver des contrats. «Je suis un agent, pas un papa... Peut-être un oncle», dit-il en riant.

Car malgré tout, le métier requiert une grande part d'encadrement et de psychologie. «On est obligé, ce sont des êtres humains. On «deale» avec des jeunes qui sont un peu foufous et qui ne comprennent pas toujours leurs responsabilités. Mais ce sont ces mêmes jeunes qui le gardent allumé. J'adore mon métier. De voir évoluer une personne qui sera partout et qu'on aura sortie du bois,  c'est un plaisir à chaque fois»

 

Évaluer cet élément
(0 Votes)