Isabel Marant, le lézard des jardins du Palais-Royal

By www.touwensa.net juillet 17, 2015 475

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Chaque jour, une personnalité de la mode nous donne rendez-vous dans un lieu de la capitale où elle aime flâner en juillet. Dans cet épisode, une balade avec la plus parisienne des stylistes sous un soleil au zénith.

Un jardin parisien paisible, préservé de la frénésie de la ville par des galeries historiques à l'heure du déjeuner… Quand Isabel Marant a choisi le lieu et l'horaire, elle ne se doutait pas que ce serait un jour de canicule. Qu'importe, alors, que le thermomètre flirte avec les quarante degrés, elle ne semble pas gênée par la fournaise ambiante, se prête de bonne grâce au jeu de la séance photo malgré l'atmosphère suffocante. «J'adore la chaleur. Mes amis disent que je suis un vrai lézard. Je peux rester des heures sous le cagnard», lance, bravache, cette fille du soleil. Et celui-ci le lui rend bien. On la questionne sur sa mine incroyablement hâlée. «Je fais juste partie de ces gens qui bronzent même au bureau», plaisante-t-elle, avant d'avouer que pour une raison qu'elle ignore - «peut-être mes origines» - elle brunit instantanément aux premiers rayons UV.
 

Enjouée, volontiers blagueuse, elle déambule l'air de rien dans les allées du parc bondé de monde entre midi et deux. On croise des touristes décidés coûte que coûte à faire du lèche-vitrines, des retraités en pleine partie de pétanque, des farfelus en maillot de bain ravis de bronzer au bord de la fontaine. La plupart sont des employés venus en voisins pique-niquer vite fait sous les rangées de tilleuls ou sous n'importe quel espace ombragé disponible. «Le week-end, c'est beaucoup plus familial. On emmène les enfants jouer au milieu des colonnes de Buren. Les gens viennent y faire du sport. Moi, j'aime lire autour des bassins. Ici, aux beaux jours, il y a de tout: des étrangers en vacances comme des étudiants, des banlieusards qui travaillent à la Banque de France et les hipsters des agences artistiques du coin. En fait, les lieux où il n'y a qu'une catégorie de personnes m'ennuient.»
 

Un peu plus tard, elle sirote un café sous la climatisation réconfortante de ses bureaux installés à cinq minutes à pied de Palais-Royal, dans le Ier arrondissement. «J'ai une affection particulière pour ces jardins. J'y flânais déjà petite car ma mère habitait juste à côté. Je devais avoir 11 ou 12 ans, l'âge où on commence à sortir un peu tout seul sans oser s'aventurer trop loin. Il y avait déjà ce magasin de jouets en bois et pas mal de boutiques de médailles militaires ou de philatélie. Plein d'échoppes incongrues et désuètes qui me faisaient rêver. J'avais cette sensation que j'éprouve toujours aujourd'hui d'être en dehors de la ville, dans un lieu à part, presque magique qui cumule la verdure du parc du Luxembourg et le décor historique de la place des Vosges, deux endroits que j'adore.»
 

La ville livrée aux touristes
 

Comme toute Parisienne qui se respecte, elle ne passera pas l'été dans la capitale. «Jamais de la vie!» lâche-t-elle dans un souffle avant de reprendre: «Mais j'aime Paris au mois d'août. Malgré le fait que tout soit fermé, ce qui est un peu sinistre, j'apprécie quand la cité se vide de ses habitants. Ceux qui restent sont de bien meilleure humeur. Il y a un côté bon enfant. Tout le monde traîne, se parle, se dit bonjour. Les filles sont jolies, sexy même. J'apprécie aussi que la ville se livre aux touristes. J'ai l'impression de voyager.»
 

Le reste de l'année, cette résidente de l'Est parisien depuis des années ne perd pas une occasion de «prendre un train pour s'échapper dans la forêt de Fontainebleau» où elle vit le temps d'un week-end, en tribu telle une Robinson Crusoé moderne, dans un cabanon sans eau ni électricité avec son compagnon, le créateur Jérôme Dreyfuss, et leur fils. Quelques amis sont toujours de la partie. «J'adore passer d'un milieu citadin à un espace complètement naturel. Cela aide à apprécier la ville.» À l'image de la fille qu'elle habille, «un titi parisien un peu gouailleur comme je peux l'être», une baroudeuse bien d'ici mais aux envies d'ailleurs glanant ses trouvailles aux quatre coins du globe.
 

Avec ses jupettes sexy, vestes de garçon et boots haut perchées, Isabel Marant incarne la Parisienne, ce mythe de la féminité «que le monde entier nous envie»
Qu'elle l'ait souhaité ou non, Isabel Marant est le porte-drapeau de cette dégaine chic effortless. Avec ses jupettes sexy, vestes de garçon et boots haut perchées, elle incarne la Parisienne, ce mythe de la féminité «que le monde entier nous envie». L'ambassadrice de cette élégance débraillée mais sous contrôle demeure intarissable sur le sujet. «Disons que j'ai été à l'origine d'une certaine attitude. On me demande souvent ce qui fait sa spécificité et je pense, pour résumer, que l'on passe beaucoup de temps à peaufiner nos imperfections afin qu'au final, elles soient totalement maîtrisées», explique-t-elle dans un énième éclat de rire. «Ne pas se teindre les cheveux (sa chevelure poivre et sel nouée à la va-vite est devenue sa marque de fabrique, NDLR), ne pas avoir l'air maquillée... Cette nonchalance un peu bohème nous rend très exotique pour une Américaine, une Japonaise et même une Anglaise!»

 

Rien ne semble lui faire perdre sa bonne humeur. Même pas la pression qui s'accumule - de pair avec le succès - sur ses épaules de femme seule à la tête d'un petit empire indépendant. Ni la fatigue amassée au terme de cette année «au taquet» entre les six collections annuelles, les ouvertures de boutiques à Copenhague, à San Francisco et bientôt à Miami et à Tokyo, le lancement d'une nouvelle montre et la mise en scène des vitrines du grand magasin new-yorkais Barneys. «J'avoue, c'est un peu stressant… Et, en même temps, très excitant. Il est vrai que mes actes impliquent de plus en plus d'enjeux et que je n'ai pas droit à l'erreur. Je fais les choses avec le cœur et les tripes. Ce qui m'importe est d'habiller les femmes dans leur quotidien, de ressentir ce qui va faire la différence.»
 

Qu'inspire à la créatrice la vague de chaleur qui écrase la capitale le jour de notre rencontre? «J'avoue que ces temps-ci je n'ai envie de rien! Alors quoi faire avec ce rien?» questionne-t-elle. Puis elle se rattrape: «Enfin si, de vrais vêtements bien aboutis dans de belles matières avec quelque chose de doux, de cosy et de facile.» Le vestiaire même qu'elle s'apprête à embarquer dans ses valises pour les prochaines quatre semaines de vacances avec sa bande à Ibiza. «Pas de programme! Les pieds nus toute la journée. Un short, un tee-shirt, un maillot de bain et voilà. Lire, boire du rosé et rigoler avec mes amis. Des choses très simples. Prendre le temps de vivre et se laisser aller.»
 

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Dernière modification le jeudi, 16 juillet 2015 12:16