Tunisie - Gouvernement : un lion à la Kasba

La nomination de Habib Essid comme Premier Ministre donne le ton de la partition politique des cinq prochaines années : la sécurité en sera la priorité absolue.

Les rumeurs sont devenues vérités. Le nom d’Habib Essid – qui signifie "le lion" en arabe - a circulé en boucle tout le week-end dans les médias comme étant donné favori pour la Kasba, le Matignon tunisien. C’est désormais chose faîte. Le choix de ce sexagénaire aux épaules carrées, lunettes rectangulaires et traits serrés est celui de la fidélité au nouveau Président de la République, Beji Caïd Essebsi. Le Chef du gouvernement a en effet derrière lui une longue carrière de fonctionnaire sous Bourguiba et Ben Ali.
 

Essid, un habitué des cabinets ministériels

De formation économique (Master en Sciences économiques), l’homme a écumé les cabinets ministériels avant de devenir chef de cabinet du Ministre de l’Agriculture de 1993 à 1997 puis à l’Intérieur de 1997 à 2001. Epoque où le 7 avenue Bourguiba, Tunis, fut notamment dirigé par Abdallah Kallel. "Une des pires périodes de l’ère Ben Ali", confie un spécialiste du lieu. Kallel fut écarté en 2001 du Ministère par Ben Ali suite à des plaintes le visant pour torture. Au lendemain de la révolution, Essid fut appelé par Beji Caïd Essebsi, alors premier ministre, à l’Intérieur. Après la victoire des islamistes en octobre 2011, il devint conseiller auprès du chef de gouvernement Jebali, en charge des affaires sécuritaires. Ce qui fait de lui un homme de consensus pour Nidaa et Ennahdha, les deux poids lourds de la vie politique. Le parti dirigé par Rached Ghannouchi a fait savoir par voix de communiqué qu’il était prêt à collaborer avec Habib Essid. Hamma Hammami, le leader du Front Populaire, a déclaré sur les ondes de Shems FM que cette nomination "est le premier message négatif envoyé par Nidaa Tounes". Son parti a pourtant appelé à faire barrage à Moncef Marzouki au second tour de la présidentielle. Et d’ajouter que "Béji Caïd Essebsi avait promis qu’aucun ministre ou responsable de l’ancien régime ne serait nommé à la tête du gouvernement, sauf que c’est le contraire qui s’est passé avec la désignation de Habib Essid !". Arrivé troisième sur le podium du premier tour de la présidentielle, Hammami confie craindre que "le pouvoir réel soit au Palais de Carthage". Ce que ne prévoit pas la Constitution.

 

Quelle majorité, quel gouvernement, quelle stratégie… ?

Nidaa Tounes dispose de 86 élus au sein de l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) sur 217. Il a pour alliés les libéraux d’Afek Tounes, le parti de l’homme d’affaires Slim Riahi (UPL) et Al Moubadara, de l’ancien ministre des affaires étrangères de Ben Ali, Kamel Morjen. Soient 113 députés, quatre de plus que la majorité nécessaire pour voter les textes de loi. Le nouveau premier ministre devra donc intégrer dans son futur gouvernement des membres de ses trois composantes.  Accepté par Ennahdha, l’homme est à même d’accueillir quelques ministres islamistes. Le nom de Samir Dilou, ancien ministre des droits de l’homme, est régulièrement cité. Slim Riahi, président de l’UPL, a indiqué que le gouvernement compterait "23 ministres et 12 secrétaires d’Etat". De quoi satisfaire les nombreuses ambitions qui fleurissent à foison.

 

Quel programme ?

Reste la question clé : quel sera le programme du premier ministre Essid ? Beji Caïd Essebsi a mené campagne contre les islamistes lors des législatives puis contre Marzouki, dont les électeurs étaient selon BCE "des islamistes, des salafistes jihadistes…". Il a martelé que la Tunisie avait besoin "d’ordre", qu’il fallait "restaurer l’autorité de l’Etat". Habib Essid sera donc, de facto, l’homme de ce crédo. Depuis plusieurs mois, l’ex-locataire de la Kasba, Mehdi Jomâa, consacrait l’essentiel de son agenda aux questions de sécurité. Son successeur s’y appliquera. Sa connaissance de l’appareil sécuritaire, peu réformé depuis la chute de la dictature, fait de lui le bon profil pour mener à bien ce dossier. Quand aux problèmes sociaux (grande pauvreté, chômage de masse, inflation à plus de 5%...) qui ont déclenché la révolution, on en ignore encore le diagnostic et la thérapie envisagé. Habib Essid est originaire de Sousse. Il est donc un sahélien comme tous les hommes d’Etat de ce pays depuis des décennies. Il a donc un mois pour former son équipe. Délais reconductible une fois en cas d’échec.

 

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