Nicolas Seydoux : «Oui, le coût des films français continuera d'augmenter !»

Touwensa.(Agences) Mokhtar TRIKI

Actuellement, Gaumont a quatre films sur les écrans, pour la première fois depuis sa création, il y a 120 ans. Belle et ¬Sébastien est sorti mercredi dernier avec succès, En solitaireest toujours à l'écran, L'Apprenti Père Noël attire les enfants et leurs parents et, enfin, Les Garçons et Guillaume à table! a déjà atteint 1,8 million de spectateurs et devrait largement dépasser les 2 millions. Nous avons une très belle couverture avec des films qui devraient bénéficier des vacances de Noël. Mais pour autant, le cinéma français atteindra-t-il le chiffre mythique des 200 millions d'entrées? Je ne le crois pas, car, cette année, aucun film américain ou français ne dépassera 5 millions d'entrées. Même Les Garçons et Guillaume, car ce film s'adresse à une clientèle urbaine sophistiquée et est moins regardé à Brive-la-Gaillarde.

Gaumont a connu l'échec avec L'Extravagant Voyage de TS Spivet. Est-ce une illustration de la crise du cinéma français qui souffre de l'inflation des coûts?

Je ne pense pas que le cinéma français soit en crise. Il me semble en plein renouveau. On a beaucoup parlé, et à juste titre, de La Vie d'Adèle, qui illustre le fait que le cinéma français est vivant, diversifié, et qu'il fait émerger de nouveaux talents. Les films chers qui ne trouvent pas leur public? Mais c'est la vie du cinéma! Ce n'est pas un ¬phénomène nouveau, rappelez-vous le drame de Cléopâtre. Même Titanic était considéré, avant de sortir, comme un échec potentiel, car le coût final est le triple du ¬budget initial. C'est un des plus grands succès de l'histoire du cinéma. Cela illustre l'économie du ¬cinéma. Le cinéma est en concurrence avec toutes les images du monde, dont des séries télé, très bien faites. Aujourd'hui, le cinéma doit inciter les gens à abandonner leurs chères télés et tablettes pour sortir de chez eux et payer leur ¬place dans une salle obscure. Il faut donc leur donner une plus grande émotion que les séries télévisées. Oui, le coût des films continuera d'augmenter!
 

Soyons clairs, en aucun cas le contribuable ne finance le cinéma français
 

La Cour des comptes enquête sur le financement du cinéma. Ce système est-il en bout de course?
 

Cette année, nous avons obtenu de Bruxelles le retrait du cinéma des discussions sur l'accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis, nous avons obtenu la territorialité du soutien et le Parlement vient de rendre au cinéma la TVA culturelle, c'est-à-dire à taux réduit. C'est plutôt un bon environnement pour l'exception culturelle française. J'ose espérer que ce qui a été dit à propos du rapport de la Cour des comptes relève de l'incompétence, sinon c'est de l'inconséquence. Soyons clairs, en aucun cas le contribuable ne finance le cinéma français! Ce sont les spectateurs et les téléspectateurs qui participent pour une faible partie, grâce à des taxes dédiées au financement. Il n'y a pas d'argent public ou si peu, le crédit d'impôts pour éviter les délocalisations des tournages et les ¬Sofica. Laisser supposer que les obligations de -financement du cinéma par les télévisions ¬détournent de l'argent public est absurde.
 

La clé du débat est de savoir ¬comment les fournisseurs d'accès Internet et les moteurs de recherche évitent de favoriser le piratage et participent au financement de la création. Quand je suis arrivé dans le cinéma, le cinéma italien était le deuxième du monde occidental. Aujourd'hui, il est l'ombre de lui-même, et le numéro deux mondial est le cinéma français, grâce aux professionnels et à l'arbitrage des pouvoirs publics. Quand quelque chose marche, ne le détruisons pas! Il y a quelques champions français, dont le cinéma, il faut au minimum qu'ils soient soutenus.
 

Gaumont est devenu un acteur majeur des séries américaines grâce aux succès de Hemlock Grove et d'Hannibal. Comment un français peut-il réussir à Hollywood?
 

Gaumont dispose d'une équipe de qualité, avec Sidonie Dumas, directrice générale, et Christophe ¬Riandée, directeur général adjoint. Ces deux séries ont été diffusées aux États-Unis avec succès et, surtout, elles ont été renouvelées pour une deuxième saison. Nous en sommes très fiers. L'idée est de rapprocher l'ambition commerciale américaine et une certaine qualité à la française. Je pense que nous y arrivons. Bientôt, Gaumont aura la moitié de son activité dans la production ¬cinématographique et l'autre dans la production audiovisuelle, dont les revenus en provenance des États-Unis ont décollé très rapidement. Nous avons une nouvelle ¬série américaine en écriture, Barbarella avec comme «moteur» Canal +. En France, nous avons aujourd'hui des productions pour toutes les chaînes avec Résistance, Interventions et Caliméro pour TF1, L'Hôtel de la plage pour France 2 et Lanfeust pour M6.
 

Les séries sont-elles plus rentables?
 

Cette diversification permettra à Gaumont d'équilibrer ses risques. Le cinéma et la télévision sont des métiers très différents. L'essence de la production cinématographique est la prise de risque. Si le succès est au rendez-vous, cela permet de créer de la valeur à travers un catalogue de films. J'en profite pour ¬saluer Édouard Molinaro et Georges Lautner qui nous ont quittés et avec qui Gaumont a beaucoup travaillé. Pour leur cinquantième anniver¬saire Les Tontons flingueurs de Georges Lautner sont considérés comme un chef-d'œuvre, ce qui n'était pas le cas à leur naissance, et continuent à créer de la valeur.
 

En revanche, les séries audiovisuelles sont préfinancées pratiquement en intégralité par des chaînes de télévision. Le risque est donc limité. Au final, les séries sont moins rentables mais moins aléatoires que le cinéma. Il faut aussi ne pas oublier l'aspect artistique. Aujourd'hui aux États-Unis, le talent a glissé du cinéma vers les séries. En France, il commence à y avoir des passerelles entre les deux mondes.
 

Netflix débarquera en France fin 2014. Est-ce une chance ou une malchance pour le cinéma?
 

Pour les réalisateurs, plus il y a d'acheteurs potentiels, plus ils sont contents. C'est le point positif. En revanche, il est évident que si ¬Netflix arrive en France, il devra respecter l'exception culturelle française, notamment la chro¬¬no¬logie des médias. D'autant plus qu'aux États-Unis, les films des majors Warner ou Disney res¬pectent une chronologie pratiquement identique à celle de la France. Le cinéma est d'abord fait pour la salle obscure, ensuite pour la vidéo, enfin pour les télévisions.
 

Cela risque-t-il d'affaiblir Canal +, le grand argentier du cinéma?
 

J'espère que demain, quelle que soit la forme de la distribution - télé, tablette ou smartphone-, les œuvres seront rémunérées. Il faut que le téléchargement illégal soit réduit au maximum. C'est un élément clé pour les chaînes de télé qui financent 30 % du cinéma. Et parmi ces chaînes Canal + a une position spécifique, car c'est le premier financeur. Nous ne souhaitons absolument pas l'affaiblissement de Canal + et les pouvoirs publics doivent arbitrer pour éviter que les partenaires traditionnels du cinéma français soient déshabillés.
 
 

 

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