Le Printemps Arabe

Touwensa : Ali Zouaoui (Tabarka)

La Maison de la Culture de Tabarka, en collaboration avec le Club : « Plumes de Khroumirie », a fêté le Printemps Arabe, le 19 Avril 2004. Les organisateurs n’ont pas lésiné sur les moyens de divertissement. On a fait feu de tout bois afin d’égayer le public, le temps d’un bel après-midi pascal. Question de sortir les Tabarkois de la torpeur hivernale. La Poésie et la Musique sont à l’honneur.

Dans une allocution préliminaire de bienvenue, on a rappelé le sens du Printemps, dans la Poésie Arabe en général. Et aux yeux d’Abou Tammam, en particulier, en vue de convier l’auditoire à la joie et à la bonne humeur. Cette saison marque la fin de l’hibernation. La température, devenant clémente, s’adoucit, la végétation, renaissante, fleurit. L’esprit, quant à lui, se revigore par les idées qui se grisent et se déchaînent pour devenir, une source intarissable de prouesses et de créativités. On a fait allusion au Printemps de Prague, à la senteur du Jasmin, en Tunisie et à la symbolique des œillets, sous le ciel lusophone. Quoi de plus normal ! Cette saison renvoie à la naissance et à la renaissance. On parle, bel et bien, du printemps de la vie et de la fleur de l’âge. « Vous pouvez couper toutes les fleurs, vous n’empêcherez pas le printemps de revenir. » Anonyme – XXe Siècle.
 

A cette occasion, messieurs : Krimi Moncef, Tarak Nasri et Moez Akaichi, poètes à leurs moments perdus, ont fait le déplacement et se sont relayés sur le podium. Ils nous ont, gracieusement et généreusement, donné lecture de quelques poèmes, absolument fantastiques et rigoureusement d’actualité. Ils nous ont montré notre petitesse, face à la grandeur sublime d’une âme, cinglée par les vicissitudes, constamment, en quête de vérité.
 

Monsieur Krimi, dans un poème intitulé : « A la lisière de la Mémoire », nous indique que sa Patrie, qui le transcende, est plus grande que sa poésie. Et dans un vers, il nous lit : « Ce poème s’appuie sur le monticule du silence ». Il poursuit : « Il était, j’étais et fut le poème, un rythme /une composition de fureur». Dans la même lancée, lisant son poème, au titre évocateur : « L’Angoisse », il nous guide aux : « Portes ouvertes du béguin, ce matin. Mais laquelle va-t-il emprunter » ? Décision cruciale, pour un poète paumé ! Tout s’entasse dans la « Mémoire de l’impossible » et défie les plus téméraires et toutes les muses. En conclusion, il crie : « Ma Cité se drape de silence ». Encore la notion du mutisme ! Mais, qui veut-on frapper d’ostracisme, cher ami ?
 

La contribution de Monsieur Tarak Nasri, est venue de son livre au titre saisissant : « Sur la pierre glaciale, nous nous échangeons l’amour des chants » Le poète, dans un style fluide, aux images frappantes, chante l’hymne à la liberté et décrit le désarroi qui parvient à sourdre du tréfonds de l’âme de la Mère du Martyr. Il dépeint la résurrection des thuriféraires du despote, qui sans contritions, se pavanent dans les processions « des excellences huppées et nanties, faisant peau neuve. Pendant que le sort des indigents est resté immuable ». Il pointe du doigt le « dictateur assis, lorgnant sur la réconciliation avec son peuple, après deux années de tergiversations » Oh oui cher ami, quant la main du monarque tremble et laisse choir le sceptre, les plus vils courtisans le ramassent. Et il poursuit : « Nous nous sommes révoltés. Mais nous ne savons point à quoi rimait notre révolution ». Question existentielle qui fait écho à l’angoisse de Monsieur Krimi. Dans la mêlée, notre poète nous apprend que : « Nous avons égaré aussi bien le pays que la boussole ». En guise de conclusion, notre ami, fulmine et lit : « Au Printemps Arabe, le rêve a pris le large ». Et de charybde en Sylla, il se noie ». Trouve t-il consolation dans les vers, extraits « d’Ombres et Transparences » - Paysages Internes- (Artémis Calame) qui dit : « Les oiseaux, tristement, ont quitté le rivage. Parce que le n’ai plus de grains pour les nourrir. Des chiens ont aboyé tout près de mon visage. Et la lune a poussé comme un poignant soupir. Mais moi, j’ai ramassé sur le sable des plages, le collier de mes jours vécus et à venir. J’ai dit au vent des mers d’arrêter le naufrage. Et le vent s’est assis comme un vieux souvenir. Enfin, il dénigre les lapalissades des poncifs et les poètes, tels des camelots, tentent de se roder aux hémistiches, aux vers et à la cadence de la Poésie. Tant s’en faut !
 

La participation de Monsieur Akaichi, est tirée de son livre, au titre envoûtant : « Quelque peu au-delà de la mort ». Dans la préface dédiée aux martyrs, nous lisons : « Infimes, sont ces créatures qui piétinent les sangs des montagnes ». Quel contraste entre les signes infinitésimaux et les cimes inexpugnables ! Notre ami a, derechef, situé le contexte de ses joutes, décrivant la disette et le marasme qui nous enchaînent : « Notre Printemps Arabe est sans eau, sans roses et sans lys ». Il déclare, avec un sourire à la commissure des lèvres qui en dit long sur la profondeur du constat : « Je délire, rêvasse et brigue le nuage escompté et impossible ». Sur un ton solennel, il nous décrit l’impact des balles dans : « Des tirs derrière la porte ». Les assassinats lâches, perpétrés, dans un pays qui se cherche et se construit. Plus loin, Monsieur Akaichi, déclare : « Au bord de l’eau, comme le feu, nous sommes des rivaux amis qui s’entretuent ». Il nous prodigue, dans le même temps, un conseil et nous incite à prendre soin du pays : « Mon pays vivra si on le met à l’abri des voleurs ». Les trois poètes ont vaillamment pérennisé les heures de gloire immarcescible de nos valeureux martyrs. Sans oublier ce qui s’enlace comme mélange de grandeur, d’aversion et de fierté dans les cœurs de tous ceux qui les aiment.
 

Nos invités se sont donné le mot pour nous gaver d’aphorismes et de poèmes graves. Peut-être trouveront-ils résonance dans cette citation de Socrate : » Soyez persuadé que, si vous me faites mourir, sans égard à l’homme que je prétends être, ce n’est à moi que vous ferez le plus mal, c’est à vous-même et au peuple… Impossible au méchant de nuire à l’homme de bien. ».
 

Fidèles à leur souci de donner la chance aux membres du Club précité de se familiariser avec le podium face au public, certains ont présenté le fruit de leurs entrailles et ont vaincu la peur fictive et la timidité.
 

Nous ne pourrons pas conclure sans citer le chanteur, en la personne de Jamel Guella qui a rendu à son frère, feu Hédi Guella, un bel hommage à titre posthume. Il a bercé l’auditoire avec son luth, en chantant les paroles exquises et inoubliables des défunts : A.F Nejm et M. Darwiche.
 

En définitive, comme l’a très bien dit Monsieur S.Ghozzi, il nous incombe de rester connectés à la terre, sans être suspendus au ciel, pour mieux saisir la dimension de la vie.

Ali ben Amor Zouaoui (Tabarka).

 

Évaluer cet élément
(0 Votes)