Le cinéma s'invite dans le bidonville rom de Grigny

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

A quelques mètres de la sortie du RER D, juste derrière un court de tennis, Bela et sa famille dorment à dix dans la même baraque, faite de bois et de tôle. La famille Novaci a élu domicile à Grigny (Essonne), sur le terrain de la Folie, juste après avoir été expulsée de Ris-Orangis, le 3 avril 2013. Ce mercredi, ils accueillent un visiteur de prestige : Tony Gatlif, le réalisateur qui a fait des tsiganes son thème de prédilection. Ce dernier a été appelé en urgence par les activitistes de l'association Perou (Pôle d'exploration des ressources urbaines), qui organise un « festival sauvage » en signe de protestation contre l'expulsion générale, prévue la semaine du 7 au 13 juillet, des 300 Roms qui vivent là.

Le père de famille cherche à savoir dans quelle région de Roumanie le film de Tony Gatlif, Gadjo Dilo, a été tourné. Il raconte au cinéaste qu'il a quitté sa région natale, le Bihor, à la frontière avec la Hongrie, il y a treize ans. Depuis, il a connu plusieurs bidonvilles, celui de la Nationale 7 à Ris-Orangis, et le terrain de La Folie à Grigny. Le cinéaste s'émerveille devant le chapiteau de fortune tissé en patchwork, « comme une jupe tsigane ».
 

« GADJO DILO », VU PAR 5 MILLIONS DE PERSONNES
 

« En salles, Gadjo Dilo a dû être vu par 5 millions de personnes, mais tous les Roms le connaissent », s'amuse Tony Gatlif. Son film, sorti en 1997, a été plébiscité par les habitants du bidonville pour cette soirée cinéma improvisée. Appelé par les activistes, Tony Gatlif semble taillé pour le rôle : « Ce film, comme tout ce que j'ai fait, c'est en tant qu'ambassadeur, dit-il. Je fais le pont entre les Roms et les autres ». Né d'un père kabyle et d'une mère gitane, il a décidé de s'engager pour cette « population à l'abandon ». Pour Tony Gatlif, les hommes politiques utilisent les Roms « comme une arme pour construire leur popularité », mais il est persuadé que « ce n'est pas normal que 15 000 personnes posent problème » en France.
 

En invitant des artistes, le Perou fait passer son message. Au quotidien, l'association s'attèle à palier l'urgence sanitaire des lieux. D'abord à Ris-Orangis, puis à Grigny. « Mettre des extincteurs dans les baraques, du bois sur le sol pour éviter la boue, des ventilations... construire, c'est commencer à sortir du bidonville. Alors que le détruire, c'est pérenniser cette situation », explique le politologue Sébastien Thiéry, tête pensante du collectif, en rappelant que le camp de Grigny a vu le jour un mois à peine après l'expulsion de Ris-Orangis.
 

Le cinéaste Tony Gatlif à Grigny, mercredi 2 juillet 2014, sur le terrain de la Folie, où vivent 300 Roms menacés d'expulsion. | ROBIN BRAQUET
 

Avec des architectes, le Perou a mis en place des lieux de vie, et des médiateurs ont œuvré pour l'insertion des familles. Actuellement, 27 adultes ont un contrat de travail, 6 personnes ont obtenu un logement social, et la quasi-totalité des enfants sont scolarisés. Bela, par exemple,  travaille depuis un an et demi dans un pressing à Evry. La jeune femme de 25 ans avoue avoir un rêve : « vivre normalement ». Mais si elle est expulsée, elle ne sait ni où elle ira, ni si elle pourra continuer d'aller travailler.
 

COÛT DE L'EXPULSION : 320 000 EUROS
 

Face à la politique de l'expulsion systématique, le collectif Perou s'est mobilisé. « Nous ne défendons pas les Roms, mais nous défendons le réel », assure Sébastien Thiéry. Les membres de l'association reprochent surtout aux politiques publiques de ne pas « inventer de solution » aux « problèmes qui se posent ».
 

Pour contrer l'argument du manque d'argent pour accueillir ces citoyens européens, le collectif a placardé des affiches sur les baraques, avec une estimation du coût de l'expulsion. Entre les frais de gestion, de destruction, de neutralisation et d'hébergement, l'addition dépasserait les 320 000 euros, répartis entre les acteurs publics.
 

GRIGNY 2 EN « QUASI-FAILLITE FINANCIÈRE »
 

A la mairie de Grigny, un responsable qui ne souhaite pas être cité rappelle que « Grigny est la ville la plus pauvre de l'Essonne ». La Folie est en effet un terrain qui appartient à la ville, situé sur la copropriété de Grigny 2, elle-même en « quasi-faillite financière », et « mise sous administration provisoire ». Le tribunal d'Evry a rendu une ordonnance d'expulsion le 13 décembre 2013. Depuis, la ville doit signifier le jugement aux occupants. Mais « elle ne l'a pas fait pour que les enfants puissent achever leur année scolaire », explique-t-on au cabinet de Philippe Rio, maire communiste de Grigny.
 

Lundi 7 juillet, ce sera chose faite, et l'expulsion pourra avoir lieu dans les jours suivants. Dans une motion du conseil général du 30 juin, la ville reconnaît que l'expulsion des campements « sans solution alternative » aggrave à chaque fois la situation des familles, qui se déplacent « sur d'autres lieux souvent proches ». Le conseil général demande donc aux préfets de région et de département, une « contribution technique et financière » pour reloger dix familles (46 personnes) à Grigny.
 

LES POUVOIRS PUBLICS INTERPELLÉS
 

En s'engageant à reloger ces familles, la ville dit « prendre sa part de solidarité », mais estime aussi que « la ville la plus pauvre de l'Essonne ne peut pas régler seule un problème qui concerne l'Union européenne et la France », selon le cabinet du maire. La municipalité a donc interpellé les pouvoirs publics pour demander une pleine application de la circulaire du 26 août 2012. Celle-ci prévoit « l’anticipation » et « l’accompagnement » des personnes lors des évacuations des campements illicites. Une circulaire qui se heurte, dans la pratique, à Grigny comme ailleurs, à la saturation du parc social.
 

En attendant, dans le camp de Roms, Tony Gatlif tente de faire revivre les festivals gitans qu'il avait lancés dans les années 1990, après la sortie de son film Latcho Drom. Entre le violon et l'accordéon, la projection se poursuivra tard dans la nuit. Mais les préoccupations du lendemain sont bien présentes. « On ne peut pas stigmatiser une population qui veut travailler. Les Roms n'ont pas de paradis, sinon ils y seraient déjà », plaide le cinéaste.
 

 

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