Abderrahmane Sissako / Timbuktu Sous la terreur djihadiste

By www.touwensa.net février 14, 2015 380

Racontant la résistance d’une population malienne occupée par des djihadistes, Timbuktu fait écho, avec des images somptueuses, à une actualité inquiétante. En lice pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le film franco-mauritanien d’Abderrahmane Sissako oppose la beauté à la barbarie. Entrevue.

Ses films précédents, à l’image de sa propre vie vécue entre l’Afrique et la France, racontaient l’exil et les déplacements identitaires qui le définissent. Débutant une nouvelle étape de son élégante et humaniste filmographie, Abderrahmane Sissako pose cette fois sa caméra sur un territoire circonscrit: la ville de Tombouctou et ses dunes avoisinantes, tombées sous le joug du régime de terreur des djihadistes. L’on croise, à la ville, une galerie de personnages résistant quotidiennement aux affronts, et, dans le désert, une famille Touareg qui tente d’y échapper mais sera vite rattrapée par le radicalisme musulman et sa loi musclée.

Lui-même musulman et homme de foi, Abderrahmane Sissako sera toujours avant tout un humaniste. Posant son regard sur les torts que fait le djihad à l’islam et aux musulmans, il s’inquiète particulièrement de cette radicalisation qui entache la réputation de sa religion. «On ne peut faire de religion en tuant son prochain, dit-il, ou en interdisant ce qui fait la beauté de la vie. Les djihadistes prennent l’islam en otage: leur action n’est pas religieuse, elle n’est qu’obscurantisme. Un homme religieux s’occupe de la souffrance et de la famine, pas de mener des combats absurdes pour couvrir la tête des femmes ou pour empêcher les hommes de jouer au football.»

Horrifié par le sang qui coule abondamment pour des raisons absurdes, dans un Mali où il a longuement vécu, Sissako n’a toutefois pas voulu forcer le trait dans sa représentation de la violence. Animé par un souci de poétisation et par une volonté de représenter la résistance d’une population malienne armée de force tranquille, il filme peu les tortures et les meurtres. Il y a bien une séance de coups de fouet, et quelques coups de feu ici et là, mais la sobriété est de mise.

«Pour faire un film évoquant une violence inacceptable, dit-il, il faut savoir mettre de la distance. J’ai réalisé ce film avec un certain souci de réalisme mais avant tout dans un désir de sublimer une population opprimée et d’en souligner le courage. Nul besoin de sang qui coule ou de cervelle qui éclate pour ce faire. Au contraire, le spectaculaire, au cinéma, a tendance à banaliser la violence.»

 

De même, si le parti-pris de Sissako est de s’intéresser au sort des Maliens subissant les violences et les lois djihadistes, il tente d’installer un certain nombre de nuances dans sa représentation des guerriers du djihad.  «De façon consciente, explique-t-il, je n’ai pas voulu tomber dans le cliché, notamment en refusant de montrer des djihadistes barbus et stéréotypés. Il s’agit pour moi de proposer un portrait humain de ce qui est inhumain, pour évoquer la perdition de l’humain, son basculement dans l’inacceptable, qui n’est pas simplement irrationel, qui a des causes connues et qui peut s’expliquer.»

On lui a pourtant reproché de sombrer dans le cliché à travers son regard sur la famille Touareg, qu’il aurait idéalisée en la portraiturant comme une famille nucléaire parfaite et pacifique, omettant notamment de faire référence aux groupes militaires touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), dont la feuille de route n’est pas sans taches. «Pour moi, réplqiue Abdheramane Sissako, ces Touaregs sont un couple normal; un symbole de gens qui vivent en paix. À travers eux, j’essaie surtout de montrer comment une famille est traversée par un drame. Je ne vois pas les choses de manière manichéenne, opposant les Touaregs aux populations urbaines du Mali. Je ne vois pas les humains comme des ethnies.»

Mêlange dosé d’horreur et de beauté, Timbuktu est également traversé d’un humour subtil, d’un regard parfois légèrement burlesque sur le quotidien de la ville. «J’ai travaillé volontairement un tragicomique mesuré. Je ne voulais pas en faire trop, mais le quotidien, quel qu’il soit, même dramatique, est toujours accompagné par un rayon de lumière. L’humour est une manière de croire à demain.

 

 

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