Faut-il lire les notes des élèves à haute voix en classe ?

Touwensa (Agences). Mokhtar TRIKI

Les notes sont-elles taboues ? Est-il « normal » qu'un enseignant rend les copies en annonçant tout haut le résultat de chaque élève ? En la matière, les usages divergent d'un établissement et même d'une classe à l'autre. Témoignages.

Chaque enseignant s'est un jour posé la question : comment être le plus juste pos­sible ? Comment noter sans vexer ? Le ministre de l'Education natio­nale Vincent Peillon avait lui-même insisté dès le début de son man­dat : « la note doit pou­voir être aussi un encou­ra­ge­ment et pas un décou­ra­ge­ment. » Dans ce contexte, la remise des résul­tats joue un rôle important.

En réac­tion aux griefs de ses élèves jugeant « ter­ri­ble­ment gênant, humi­liant, mor­ti­fiant » le style décom­plexé à haute voix, Mara Goyet, enseignante-bloggueuse dans un col­lège pari­sien, consacre un récent billet à la ques­tion. L'annonce des notes au vu et au su de tout le monde est-elle per­ti­nente ou mieux vaut-il pri­vi­lé­gier la discrétion ?

« Cacher, c'est dramatiser »

L'enseignante remarque « une pudeur à deux vitesse » de ses élèves. Elle pointe notam­ment du doigt le para­doxe qu'il y a à exhi­ber son inti­mité sur les réseaux sociaux, pour ensuite crier au scan­dale lorsqu'il s'agit d'énoncer ora­le­ment des notes. Néanmoins Mara Goyet le recon­naît : « il est indé­niable que lorsque c'est fait avec sadisme et cruauté, c'est pénible ». Disposer les élèves dans la classe en fonc­tion de leurs résul­tats, rendre les copies en ordre décrois­sant... « C'est un enfer pour ceux qui arrivent en der­nier », concède l'enseignante qui insiste aussi pour dire que « les cacher à outrance, c'est les dra­ma­ti­ser (...) Les notes, c'est la petite cui­sine de la classe, ce n'est pas vrai­ment intime ». Privilégiant les expli­ca­tions et le dia­logue, elle pré­cise sa méthode : « je ne donne à haute voix que les notes supé­rieures à la moyenne. »

A l'inverse, Violaine, pro­fes­seur de mathé­ma­tiques dans un lycée lyon­nais, ne lit « jamais » les notes àvoix haute, de peur de mettre mal à l'aise ses élèves : « je dis­tri­bue les copies en les posant sur les tables. » Ce qui n'empêche pas de res­ter trans­pa­rent vis-à-vis des familles puisque « toutes les notes sont sai­sies sur le logi­ciel Pronote. Ainsi, parents et élèves ont accès aux notes, à la moyenne du devoir, à la note la plus haute et la plus basse... » Mais elle sait per­ti­nem­ment que la confi­den­tia­lité a ses limites : « après avoir dis­tri­bué les copies, j'entends tou­jours le fameux “hey, t'as eu com­bien ?” Et je constate que les élèves en dif­fi­culté ne sont pas si fiers d'annoncer leur mau­vaise note, tout comme les très bons ne veulent pas pas­ser pour les “intel­los” de la classe. »

« L'annonce décroissante nous glaçait »

Fanny, ensei­gnante d'histoire-géographie dans les Yvelines, en est convain­cue : « les notes font bien par­tie de l'intimité des élèves. Je me sou­viens pour ma part d'un prof d'histoire médié­vale en hypo­khâgne, qui pas­sait deux heures à nous rendre nos copies, de la meilleure à la plus mau­vaise, en com­men­tant chaque copie depuis son bureau. Même à 17 ans, cette annonce décrois­sante nous gla­çait ! » Mais il ne faut pas être dupe, estime-t-elle, « les notes s'inscrivent dans le fonc­tion­ne­ment social du col­lège. Et elles s'immiscent aussi dans la vie fami­liale ! La bonne note en his­toire, en maths ou en fran­çais, peut être syno­nyme de l'achat du jeu vidéo tant convoité, ou de l'autorisation de sor­tie du week-end... » Soucieuse de détendre l'atmosphère, Fanny rend les copies indi­vi­duel­le­ment et dans le désordre : « Je glisse toujours un petit commentaire personnel à chaque élève. Celui-ci dépend moins de la note et du classement de l'élève, que de son évolu­tion per­son­nelle. Le choix des mots n'est pas tou­jours facile, et le temps de les développer fait sou­vent défaut. C'est ici qu'interviennent les appré­cia­tions sur la copie. » Mais la pédagogie peut se heurter à des dif­fi­cul­tés insoupçonnées : « Ce sont par­fois les élèves qui nous demandent de leur donner en classe leur moyenne ! Je leur oppose un refus caté­go­rique. Le temps d'enseignement est trop précieux pour cela. Sous la pression du groupe, il faut du cou­rage pour s'opposer à ce que la note soit lue à haute voix ! » Et d'insister : « Une note évalue la réussite à un exercice, pas la valeur d'une personne. Il n'est pas tou­jours facile de faire com­prendre aux élèves qu'on ne les juge pas. »

 

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