Tunisie : 3 ans après la révolution, la situation reste fragile mais l'espoir reste permis

Depuis le Printemps arabe en Tunisie, la situation économique s'est aggravée et le contexte politique reste très tendu. Des signes pourtant montrent la voie d'une amélioration où l'Europe a son rôle à jouer.

La Tunisie est à la croisée des chemins. Dans la plupart des pays concernés le printemps arabe s’est déjà transformé en hiver glacial. Ce n’est pas encore le cas de la Tunisie où l’espoir reste permis malgré une situation fragile et instable.

Le gouvernement dominé par les islamistes de Ennahda accumule les échecs. La situation économique est catastrophique et le chômage en hausse constante. Le tourisme est à l’agonie. En novembre dernier, la direction du Club Méditerranée a décidé la fermeture de son village de Hammamet. Tout un symbole pour le pionnier du tourisme français en Tunisie.

La Tunisie est en proie à des attentats terroristes dont on ne connaît pas exactement l’origine. Deux membres éminents de l’opposition ont été tués cet été et plusieurs membres des forces de l’ordre ont été assassinés cette année. Une attaque a visé le mausolée de Bourguiba, le père de la Nation, un autre symbole. Ces attaques sont attribuées à des « salafistes djihadistes ». Des islamistes radicaux tunisiens sont partis se battre en Syrie. Des femmes y sont également envoyées pour le Djihad du sexe ou al-nikah.

De plus, Ennahda a réussi à imposer la nomination de la plupart des nouveaux gouverneurs de province et des autorités locales. Ils renforcent ainsi leur pouvoir sur l’appareil administratif tunisien et développent par ailleurs des services sociaux de proximité en marge de ceux de l’État.


La société résiste
 

Malgré ces aspects décourageants, de nombreux acteurs de la société tunisienne ont manifesté une capacité de résistance incroyable au pouvoir des islamistes. Seul point vraiment positif de la Révolution de 2011, la liberté de la presse est bien réelle même si des journalistes sont accusés ou condamnés par une justice parfois héritière de l’ancien régime, parfois au service du nouveau pouvoir. Le droit de la famille et les acquis en matière de droit de la femme datant du temps de Bourguiba ont jusqu’à présent été préservés.

À titre d’exemple, après une longue lutte, le corps académique de l’Université de la Manouba a réussi à résister aux tentatives d’islamisation de cet établissement réputé. Celles-ci se traduisaient par une volonté de séparer les garçons et les filles lors des cours, d’autoriser les jeunes filles à porter le niqab qui voile le visage, de refuser l’enseignement de Michel-Ange et de Diderot. Sous la conduite du courageux doyen de la faculté des lettres Habib Kazdaghli, la situation est redevenue plus ou moins normale sur le campus, mais le doyen, menacé de mort, vit désormais sous protection policière permanente. Le prix de la résistance est parfois très élevé.

Depuis des mois, la société manifeste contre le gouvernement issu de l’élection de l’assemblée constituante d’octobre 2011 qui avait un mandat d’un an pour écrire une nouvelle constitution. Les pressions de l’opposition ont fait reculer les islamistes. Il y a désormais un quasi-accord sur le texte de la future constitution. Le Gouvernement du Premier ministre Larayedh s’est engagé à démissionner à l’issue du dialogue national qui regroupe toutes les composantes de la société tunisienne. Il devrait être remplacé par  Medhi Jomaa, technocrate peu expérimenté en politique et proche du parti Ennahda.  

 


Le rôle de l’Europe
 

Si la situation reste fragile, l’espoir reste permis. Il existe une véritable volonté de changements chez de nombreux représentants de la société civile qui est tout bonnement impressionnante. La France et l’Europe ont un rôle important à jouer dans cette transition délicate. Elles doivent tout d’abord soutenir les acteurs du changement démocratique tunisien : des facultés universitaires, des médias, des associations de femmes et de défense des droits de l’homme. Mais elles doivent aussi soutenir les partis politiques démocratiques non religieux proches  des idéaux libéraux comme peut l’être le principal parti d’opposition actuel, Nidaa Tounes (Appel de la Tunisie) présidé par Béji Caïd Essebsi. Longtemps ministres des affaires étrangères sous Bourguiba, il fut Premier ministre  du gouvernement provisoire jusqu’à l’élection de l’Assemblée Constituante.

Deuxièmement, l’Europe doit veiller à soutenir l’organisation d’élections vraiment libres et transparentes en évitant que les islamistes n’accaparent les moyens de l’État qu’ils contrôlent de plus en plus. Les islamistes reçoivent des soutiens financiers importants du Moyen-Orient, le jeu électoral risque de ne pas être équitable dans un pays sans tradition démocratique. L’Europe doit chercher à imposer des règles de financement transparentes de la campagne électorale et réfléchir à l’aide qu’elle peut apporter aux partis démocratiques qui soutiennent ses valeurs pour faire contrepoids aux islamistes.

Enfin, il faut annoncer clairement que le soutien de l’Europe, économique et politique, sera conditionné à une lutte efficace contre le terrorisme et à une démocratisation en profondeur de la Tunisie, ce qui inclut la préservation des libertés fondamentales notamment la liberté de la presse et le statut de la femme, unique dans les pays arabes.


 

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