Football : carton rouge pour les traumatismes crâniens

By Touwensa Mokhtar TRIKI. juillet 08, 2016 1358

Touwensa-  La répétition de commotions cérébrales chez les sportifs peut finir par provoquer une maladie neurodégénérative. Si ce problème est bien pris en compte pour le football américain ou le rugby, il reste largement sous-estimé dans le football.

Ne serait-ce que d’un point de vue médical, l’Euro 2016, n’a rien à voir avec l’édition précédente. Fin 2014, l’UEFA — l’instance européenne du football — a en effet approuvé une nouvelle procédure en cas de commotion cérébrale d’un joueur, cet ébranlement du cerveau consécutif à un choc. Cela afin d’éviter de nouveaux "cas Hugo Lloris" : le 3 novembre 2013, à la 80e minute d’un match du championnat anglais opposant Tottenham à Everton, le capitaine de l’équipe de France avait été mis KO par un violent coup de genou. Après avoir repris connaissance, le joueur avait refusé de quitter le terrain et le personnel médical n’avait pas eu d’autre choix que de le laisser à son poste. Désormais, que cela plaise ou non, le dernier mot appartient au médecin. Il dispose dorénavant de trois minutes d’arrêt de jeu pour évaluer si le joueur est désorienté, confus ou nauséeux à la suite du traumatisme. Et si une commotion cérébrale est suspectée, qu’il y ait eu ou non perte de connaissance, le joueur doit suivre l’avis médical et quitter le terrain.

Car c’est devenu une évidence : une commotion cérébrale subie dans le cadre de la pratique d’un sport n’a rien d’anodin. Si on ne laisse pas au cerveau plusieurs jours — voire plusieurs semaines — pour se remettre du choc, les conséquences peuvent être désastreuses. Notamment en cas de seconde commotion dans le même match, le joueur s’exposant au risque de "développer un syndrome du second impact, heureusement très rare, une soixantaine de cas seulement ayant été décrits chez les moins de 21 ans, mais avec un risque de mort dans la moitié des cas", dit Jean-François Chermann, spécialiste en neurologie du sport. La vraie question qui se pose est celle de la responsabilité des commotions répétées dans l’apparition d’une maladie neurodégénérative, l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC). Cette maladie demeure une énigme et dans certains cas continue d’évoluer alors même que le joueur a cessé toute pratique traumatisante. Un mécanisme du type prion comme dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob a même été suggéré. Conséquence : une possible démence précoce, mais aussi des séquelles affectives, comme la dépression ou l’irritabilité, ou cognitives avec des conséquences sur la mémoire. À tel point que certains neurologues parlent désormais d’"épidémie silencieuse" pour qualifier la multiplication de traumatismes de ce type évoluant sur de très longues années.

Ni procédure de suivi, ni budget pour la recherche

Dans de nombreux sports, comme le football américain, le hockey sur glace, ou le rugby, la prise de conscience est acquise. En foot, en revanche, à l'exception de la procédure mise en place par l’UEFA, le problème est encore balayé d’un revers de main. "Il n’existe toujours pas de tests de pré-saison comme pour le rugby et le judo et même si des neurologues référents ont été désignés pour toutes les équipes de ligue 1 et ligue 2, la route est encore longue", constate Jean-François Chermann.

Il est vrai qu’à l’inverse d’autres sports, les données manquent pour le ballon rond. Pourtant une enquête canadienne menée en 2002 auprès de 328 joueurs de football américain et 201 joueurs de football a révélé qu’une majorité de ces derniers ont eu des symptômes de commotion l’année précédant l’étude (62,7 %), soit à peine moins que les adeptes du football américain (70,4 %) ! Encore plus inquiétant, le pourcentage de ceux ayant subi plusieurs commotions dans l’année était supérieur (80 %) et quasi identique dans les deux disciplines. Mais à la différence d’autres sports — et en particulier du football américain —, il existe très peu d’études de cas post mortem démontrant une ETC chez d’anciens joueurs. Raison pour laquelle l’Américaine Brandi Chastain, qui évolue au milieu de terrain en équipe nationale, a décidé de donner son cerveau après sa mort afin qu’y soient détectés les éventuels indices d’une neuro-dégénérescence. D’autant que les footballeuses auraient, même si on en ignore la raison, un risque de commotions plus élevé que leurs homologues masculins s’il faut en croire une étude canadienne de l’université de Toronto (2014).

Un problème encore plus préoccupant les juniors


L’une des premières autopsies a été réalisée en 2014 par l’équipe de Chadwick Hales de l’université Emory à Atlanta (États-Unis) sur un ancien footballeur souffrant de problèmes neurologiques. Ceux-ci incluaient un déclin cognitif, des difficultés d’élocution et des problèmes d’irritabilité. Le diagnostic a été sans appel : ETC. Mais Chadwick Hales l’avoue : "Il est très difficile à l’heure actuelle de tirer des conclusions précises sur l’étendue du problème dans ce sport. Tant que nous n’aurons pas un moyen d’identifier formellement des changements pathologiques dans le cerveau du vivant des joueurs, il restera difficile d’établir une corrélation entre des symptômes cliniques et le risque dû à des traumatismes répétés à la tête."

Pourtant, les exemples funestes commencent à s’accumuler. Comme celui de Jeff Astle, buteur britannique décédé en 2002 à 59 ans d’une ETC, et qui ne se souvenait même plus d’avoir été footballeur. Ou encore celui du défenseur Andy Wilkinson, retiré des stades à 30 ans, en 2015, après une commotion cérébrale consécutive à une reprise de volée. Le problème serait préoccupant chez les jeunes où les commotions sont plus graves, notamment en raison du manque d’expérience et d’une musculature moins développée. "En théorie, et notamment pour les plus jeunes, explique Pascal Maillé, médecin au Centre médical sportif de la FFF, à Clairefontaine (Yvelines), un repos de trois semaines est exigé en cas de suspicion de commotion. Mais en pratique, avec 2 millions de licenciés en France, il y aura toujours des petits clubs où cette règle ne sera pas respectée..." Et les "têtes", ce geste technique fondamental en foot ? Sont-elles dangereuses ? Là encore, pas de réponse claire. "Nous n’avons pas assez de recul pour pouvoir juger de leurs conséquences. Certains postes sont plus exposés que d’autres", avoue Pascal Maillé. Ainsi, comme le précise Jean-François Chermann : "Sur le terrain, un arrière en pratique plus de mille par an. Cela provoque peut-être des mini-commotions qui n’ont rien d’anodin pour le cerveau." En Californie, des décisions draconiennes ont été prises comme interdire les têtes aux enfants. À quand cette prise de conscience dans tous les clubs de France et de Navarre ?

 

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