Auguste, premier empereur de Rome

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Il a fixé les bases d'un régime politique appelé à ¬durer plusieurs siècles. Mais plus qu'au politique, l'exposition du Grand Palais s'intéresse à l'homme, ses qualités, ses doutes, ses faiblesses, son rôle dans le domaine artistique. Quelque 300 œuvres - statues, bas-reliefs, vaisselle d'argent, bijoux - évoquent la figure du fondateur de l'Empire romain. Il n'avait ni le panache ni le charisme de son grand-oncle, le divin César, mais il se montra brillant stratège, grand réformateur, protecteur sans faille des arts et des lettres.

Né en 63 avant J.-C., il n'appartenait pas à la noblesse. Octave (il ne prendra le nom d'Auguste que plus tard) est d'apparence fragile, de tempérament frileux, peu doué pour l'éloquence. Mais il est remarquablement intelligent, au point que César, l'oncle de sa mère, s'intéresse à sa -carrière, puis l'adopte. Dans cette adoption, Suétone verra l'expression de la volonté divine. A la mort de ¬¬César (aux ides de mars, en 44 avant J.-C.),
 

Octave fait valoir ses droits sur l'héritage et s'oppose à Marc-Antoine. Il rencontre un soutien inespéré chez Cicéron, qui prend son parti dans un discours resté célèbre, les Philippiques. ¬La -bataille d'Actium, devant les côtes grecques, va sceller la victoire définitive d'Octave sur -Antoine. Maître absolu, il rentre à Rome, ¬décidé à instaurer la paix en même temps qu'un nouveau régime: «A la suite de cela, ¬écrira-t-il dans son testament, le Sénat m'a jugé digne de recevoir le titre d'Auguste.» Jusqu'alors, ce titre était réservé aux dieux. Il fait d'Octave Auguste le premier empereur romain de l'histoire.
 

Pacifier l'Empire après des décennies de guerres civiles, en réformer les institutions, restaurer les devoirs ¬religieux: le pouvoir augustéen s'exerce dans tous les ¬domaines. Un collège de magistrats, sorte de ministère des travaux publics, est chargé de l'organisation de l'Italie et des provinces, l'armée devient permanente. Une sorte de budget de l'Empire est instauré. L'agriculture est encouragée. Des lois nouvelles favorisent le mariage, punissent l'adultère. L'œuvre d'Auguste fut plus décisive encore dans le domaine artistique où les multiples portraits et ¬statues à son effigie (on en connaît plus de 210) serviront de propagande: la diffusion du visage impérial participe à l'incarnation du régime. Le portrait n'est plus seulement l'affirmation des valeurs personnelles ou familiales, il est l'expression d'une politique, sinon un moyen de gouvernement. Comme tout homme d'Etat soucieux de faire -respecter son pouvoir, Auguste a veillé à son image. Quand il fixait quelqu'un, raconte Suétone, «il aimait à lui voir baisser les yeux, ébloui par l'intensité de son regard comme par l'éclat du soleil». Horace, dans les Odes, compare Auguste à une source de lumière. Comme en témoigne la fascinante tête en bronze trouvée à Méroé, au Soudan, Auguste l'emportait sur tous par son «auctoritas», ce que Saint-Simon appellera, parlant de Louis XIV, «la majesté effrayante du souverain». En pied, le portrait d'Auguste diffusé dans tout l'Empire magnifiait la victoire militaire comme sur la fameuse statue dite de «Prima Porta», véritable manifeste de l'art impérial romain. A cette image parfaitement maîtrisée succède celle du messager de la paix (Auguste tête couronnée), fondateur d'une ère nouvelle qui se révélera un âge d'or. Sur les monnaies comme sur les pierres gravées, Auguste se fait représenter de profil, en majesté. Le camée Blacas comme la sardoine Marlborough, qui portent les attributs de Jupiter d'une part, l'identification à Alexandre le Grand d'autre part, lui confèrent les vertus monarchiques du roi des dieux, ainsi que les qualités militaires du monarque macédonien.
 

«J'ai trouvé une Rome de briques et laissé une Rome de marbre»
 

Auguste
 

Cette mise en scène du pouvoir va prendre place dans un urbanisme renouvelé pour lequel Auguste s'investit personnellement: par une formule célèbre, il se vantera «d'avoir trouvé une Rome de briques et laissé une Rome de marbre». Les grands travaux illustrent la légitimité du pouvoir, qui se veut à la fois d'essence historique et ¬divine. C'est bien ainsi que Rome apparaît sur les bas-reliefs de l'Ara Pacis (13 avant J.-C.) dont la construction fut décidée par le Sénat pour le retour d'Auguste dans sa ¬capitale, après une tournée militaire en Gaule et en Espagne. Orné d'une grande procession de dignitaires politiques et sacerdotaux qui évoque la frise du Parthénon, cet autel est typique du classicisme du style augustéen avec son équilibre harmonieux de volumes, de figures et de lignes. Sur le même modèle, le centre de Rome est transformé: Auguste complète le forum où il reconstruit la basilique Julia. Sur le Palatin, il fait aménager la Maison d'Auguste et la Maison de Livie et un temple dédié à Apollon qu'un couloir relie directement à sa demeure. Malgré le raffinement des décors peints que l'on a retrouvés, l'imperator choisit de vivre sobrement. L'orfèvrerie n'en connaît pas moins un éclat réel tout en remplissant une fonction ¬sociale: les riches citoyens l'exhibent pour les réceptions. Le trésor de Boscoreale, avec son décor de branches d'olivier, son goût des formes parfaites et des détails soignés, témoigne de la perfection de la vaisselle d'argent sous Auguste.
 

Dans la dernière salle de l'exposition, trône une statue colossale en provenance du théâtre d'Arles. Elle montre un empereur devenu dieu, en nudité héroïque. C'est au retour d'un voyage d'inspection en Campanie qu'Auguste tomba malade et demanda qu'on le porte dans la modeste maison de Nole, où était mort son père. Il y reçut ses amis et, raconte Suétone, «leur demanda ¬¬¬s'il paraissait avoir bien joué le drame de sa vie. “Si le spectacle vous a plu, applaudissez tous”, ajouta-t-il avant de les congédier et de s'éteindre dans les bras de sa femme Livie.» C'était en août de l'an 14. Auguste eut-il le sentiment d'avoir instauré durablement paix et prospérité? Son exemple de pouvoir culturel, sa vision politique allaient en tout cas guider pour des siècles la marche du monde occidental.
 

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