Le terme - jazz

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Le terme jazz serait-il d’origine catalane et occitane ? Cette hypothèse apparaît insolite sinon farfelue si l’on s’en tient aux traditionnelles étymologies. On les sait diverses et controversées mais si elles s’accordent parfois sur les connotations sexuelles du vocable, elles ne retiennent jamais cette origine.

Cette autre filiation m’a été suggérée par Pere Pons, le rédacteur en chef du magazine spécialisé Jaç devant lequel je m’étonnais, lors d’une rencontre à Barcelone, de cette graphie insolite.

Devant mon scepticisme, ce journaliste avait argumenté. Ce terme présent dans les deux langues aurait, à l’entendre, été importé outre-Atlantique au début du XXe par des travailleurs occitans venus donc du Sud de la France et émigrés en Louisiane. Et Pere Pons de compléter cette affirmation par une analyse étymologique selon laquelle le terme signifiait originellement la litière animale. Désignant plus généralement une couche rustique, ce terme aurait donc par extension fonctionné comme un synonyme de « bordel », dont ces travailleurs célibataires étaient probablement des pratiquants réguliers dans les bas-fonds de la Nouvelle-Orléans, où naissait alors le jazz.
 

J’étais resté à l’époque pour le moins perplexe. A mon retour, j’avais été cependant été troublé lorsque, évoquant cette hypothèse inattendue devant des proches, ceux-ci m’avaient assuré de l’existence du terme dans le vocabulaire catalan du Roussillon mais aussi occitan, renvoyant parfois même dans cet espace linguistique aux lieux dissimulés où se consommaient les adultères. Je n’avais pas pour autant prolongé l’enquête.
 

Quelle n’a donc été ma surprise lorsque lisant une interview d’Archie Shepp dans Libération (7 septembre 2012) à propos de sa nouvelle création d’Attica Blues présentée à la Villette, j’ai pu voir la thèse occitano-catalane confortée par le saxophoniste. Interrogé sur son refus ancien et bien connu du terme jazz, il répondait en effet à Dominique Queillé : « Je ne suis pas le seul, Max Roach, Yusef Lateef et d’autres contestaient aussi ce mot qui viendrait de « jass » en occitan. »
 

J’ai alors relancé ma recherche en sollicitant cette fois des amis linguistes et spécialistes de la langue occitane à l’Université de Montpellier. Ils ont procédé à une recherche pour me fournir un document de référence : l’entrée du terme jas (avec un s donc) dans le Trésor du Félibrige de Frédéric Mistral. Idem pour le catalan, pour lequel une amie m’a fait parvenir l’entrée du terme dans un dictionnaire de référence.
 

Nous dispenserons le lecteur de ces fastidieuses analyses lexico-sémantiques. Outre l’existence du terme en catalan et en occitan, ces documents confirment bien, par-delà les différents usages, le sens de « gîte » ou de « couche » rudimentaire, et accréditeraient donc la thèse hétérodoxe. Du moins si l’on retient l’idée qu’en vertu de ses connotations, le sens du terme aurait été déplacé du monde rural au bordel urbain, puis mis en usage et imposé en Louisiane par ces travailleurs venus du Sud de la France. Pour, au final, être étendu par un processus métonymique à la musique de jazz associée à ces lieux de perdition, dont l’un d’entre eux aurait été tenu par un Catalan.
 

Faut-il l’avaliser ? Nous nous en garderons bien. Mais nous ouvrons le débat. Occitanophones, catalanophones, jazzophiles ou non, historiens du jazz, experts et érudits de tous poils, à vos plumes.
 

Évaluer cet élément
(0 Votes)