Airs connus et déluge d’images, la féerie exotique fait valser les émotions

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Trois mesures scandent le début de l’ouverture à la façon – détournée – de La Flûte Enchantée de Mozart et annoncent l’enchantement d’une aventure hautement exotique dont Richard Rodgers (musique) et Oscar Hammerstein II (livret et lyrics) ont tiré une comédie musicale qui a fait le tour du monde depuis sa création en 1951 à New York : The King and I/Le Roi et moi vient de faire son entrée au Théâtre du Châtelet à Paris pour nous emmener aux portes de Bangkok quand la Thaïlande était encore le royaume de Siam. Airs connus qui font valser les souvenirs, déluge d’images qui abreuvent le regard d’or et de soie, le spectacle capte les yeux et les oreilles.

Rodgers/Hammerstein, les duettistes ès « musicals » américains sont familiers du Châtelet où furent déjà présentés leur Sound of Music (WT 2133 du 21 décembre 2009) et leur Carousel (WT 3661 du 21 mars 2013). Le metteur en scène, Lee Blakeley, autre hôte régulièrement invité par Jean-Luc Choplin, patron de la maison, qui y signa les quatre comédies musicales de Sondheim, complète l’équipe pour faire revivre ce classique qui n’avait jamais été monté en France.
 

Une drôle d’histoire, une histoire vraie dont la romancière américaine Margaret Landon tira en 1944 le suc de son roman « Anna and the King of Siam ». Le sujet agit comme une fusée dans de nombreuses adaptations dont Rodgers et Hammerstein furent en quelque sorte les pionniers avec leur « King and I »qui réunissait sur scène Yul Brynner et Gertrud Lawrence. Leur œuvre passa à l’écran en 1956 avec le même Brynner au crâne poli et Deborah Kerr dans le rôle de la préceptrice anglaise, inspiratrice de cette histoire autobiographique (ou presque). The english Governess at the Siamese court est le journal enjolivé d’Anna Leonowens qui fut en 1862 la préceptrice anglaise des nombreux enfants de Mongkut (Rama IV), roi du Siam. Elle y découvrit le bouddhisme et la polygamie des harems où les femmes (qui ne portent pas de culottes) sont entièrement soumises au gré et aux caprices de leur unique époux et maître. Elle leur enseigna la démocratie victorienne et la liberté au féminin.

 

Elégance britannique et rituels d’un autre monde
 

« Shall we dance », « I whistle a little tune », les mélodies qui font rêver et sourire, les ballets chorégraphiés dans les gestuelles et jeux de mains de cet extrême orient de légende, alternent avec les scènes parlées, et, comme dans Carousel, il y a un an, les paroles volent çà et là des temps un rien longuets à la musique. Petite réserve pour un ensemble où le plaisir domine. Car au Châtelet on n’a pas lésiné sur les moyens pour cette production quasi superproduction.

Décors somptueux (Jean-Marc Puissant) se transformant sans accrocs de scène en scène, costumes orientaux aux détails minutieusement reconstitués, des coiffes et couronnes pointues aux chaussures en opposition aux crinolines rebondies et coquines (Sue Blane), chorégraphie délicieusement codifiée de Jerome Robbins reprise à la lettre par Peggy Hickey . C’est l’affrontement pacifique et plein d’humour entre l’esprit et l’élégance britannique incarnée par une femme seule et les raffinements rituels d’un autre monde. Rien n’a été négligé jusqu’aux détails rythmiques de l’élocution, la langue anglaise balancée sur les cadences du parler thaïlandais.

 

Lambert Wilson, comédien subtil rôdé au chant, en est le principal dépositaire, souverain absolu d’un monde ancien jailli d’estampes et de photographies, il fait de Mongkut-Rama IV un roi qui, face à cette étrangère dépêchée pour éduquer son innombrable descendance, cherche sa voie à travers colères et actes de grandeur. A la fois délicieusement ridicule et touchant. Reine de la soirée, Susan Graham, mezzo -soprano majestueuse tant de fois entendue dans la fleur du répertoire lyrique, prête sa voix chaude et son jeu inventif, à la préceptrice-rédemptrice et en fait une magnifique héroïne, de classe et de cœur. Lisa Milne soprano venue d’Ecosse est, avec pudeur et fermeté Lady Thiang, première favorite du royaume, toute en grâce juvénile, la coréenne Ja Ni Kim incarne Tuptim, la femme objet rebelle offerte en cadeau au roi, secrètement amoureuse de son « passeur » Lun Tha auquel le baryton Damian Thantrey apporte foi et pudeur. Dans le rôle parlé du Kralahome (premier ministre), le comédien japonais Akihiro Nishida, n’a pas à se forcer pour trouver les intonations cadencées du dialecte local.

Choristes impeccables, danseurs et danseuses habités d’orient de contes et l’irrésistible bande de bambins formant, entre autres, la marche fameuse des enfants du Siam, complètent cette distribution de haut vol, tandis que dans la fosse, James Holmes donne des ailes dorées à l’orchestre Pasdeloup.

   

 

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