La Règle du jeu

Touwensa. Agences- Le chef-d'oeuvre de Jean Renoir, plébiscité plus grand film français par notre panel de professionnels du cinéma

Meilleur film français de tous les temps ?
Le jury de nos professionnels s'est exprimé, et voici son choix du plus grand film jamais réalisé en France. Qu'en pensez-vous? A votre tour, donnez-nous votre avis.

Si 'La Règle du jeu' figure régulièrement sur le podium dans les classements des meilleurs films de l'histoire du cinéma, ce n'est pas un hasard. Cela tient bien sûr à ses nombreuses qualités intrinsèques, à la légende qui l'entoure, mais aussi au fait qu'il s'agit d'une œuvre qui plaît particulièrement aux cinéphiles. Une œuvre qui donne envie de la commenter et de l'imiter. Le montage parfois nerveux et elliptique, l'utilisation virtuose de la profondeur de champ et de la profondeur sonore, les niveaux presque infinis de lecture, l'aspect choral de l'histoire, sont autant d'éléments novateurs qui font de 'La Règle du jeu' un film en avance sur son temps. Son temps, c'est-à-dire les mois qui précèdent la Seconde Guerre, Jean Renoir décide d'ailleurs de ne pas en parler en retirant sa petite troupe de personnages hors du siècle. Cloîtrés dans le domaine de la Colinière en Sologne, ces aristocrates et ces grands bourgeois qui festoient gaiement semblent en effet tout ignorer des drames qui menacent la paix dans le monde.

 

En fait, l'atmosphère délétère des années 1930 parcourt le film de façon diffuse, que ce soit à travers l'impression de fin de règne dégagée par l'intrigue, ou du fait d'allusions fugitives aux origines « métèques » du marquis, joué par le grand Marcel Dalio, lui-même d'ascendance juive. Il est aisé, trop facile sans doute, de faire le rapprochement entre cette microsociété repliée sur elle-même, insouciante et hypocrite, et une Europe prête à s'enfoncer dans le chaos sans s'en rendre compte. Pourtant, ce qui retient bien davantage l'attention dans 'La Règle du jeu', c'est qu'aucun manichéisme ne vient biaiser le portrait que dresse le réalisateur des rapports humains. Ici, maîtres et serviteurs se ressemblent comme deux gouttes d'eau et inversent parfois les rôles, à l'image du marquis protégeant son domestique Marceau lorsqu'il est poursuivi par le garde-chasse. De même, hommes et femmes sont tour à tour bons ou mauvais, drôles ou tristes, émouvants ou détestables : de quoi décontenancer un public alors peu enclin à autant d'ambiguïté. Même les plus immoraux d'entre eux, comme le braconnier Marceau (l'incroyable Julien Carette) ou le marquis de La Chesnay, peuvent être sauvés.
 

Car Renoir ne laisse personne sur le bas-côté de sa route, peignant chacun avec empathie, scrutant l'humanité qui point par sursauts chez eux. En fin de compte, nous les aimons, ces personnages. L'une des répliques fameuses du film, « tout le monde a ses raisons », résume à elle seule l'état d'esprit du réalisateur, qui ne trouvera hélas pas beaucoup d'écho auprès de la critique et des spectateurs. Résultat, Renoir fait des coupes franches dans le montage, en vain puisque 'La Règle du jeu' finit par être interdit lorsque la guerre éclate. A cause d'un bombardement allié en 1942, la version originale disparaît avant d'être restaurée par Jean Gaborit et Jacques Maréchal en 1959, année où la nouvelle copie est présentée à la Mostra de Venise. En 1965, le film sort à Paris devant un public qui le porte enfin en triomphe. Alain Resnais, François Truffaut, Claude Chabrol, Robert Altman et bien d'autres rendront un hommage appuyé à ce « drame gai », qui continue d'irriguer la sève de la cinéphilie mondiale depuis un demi-siècle.
 

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