La culture, grande perdante de la révolution tunisienne

By www.touwensa.net juillet 06, 2015 525

En Tunisie, la révolution de jasmin avait fait entrevoir un possible retour de l'art et des cultures de l'intérieur du pays boudés par l'intelligentsia tunisienne sur le devant de la scène. Illusion perdue.

Il y a, sur YouTube, les chansons d’un immense artiste tunisien qui ne bénéficie pas de biographie sur le web. Ismail Hattab a bercé deux, trois générations de Tunisiens du pays profond qui ne se retrouvaient pas dans le raffinement arabo-andalou-ottoman des beldis des bords de la Méditerranée. Le malentendu autour du maître du mezoued, la musique rurale des bédouins urbanisés, a commencé sous l’ère bourguibienne et de la morale destourienne.

Le héros paysan

Au tout début des années soixante, voyant dans le tourisme un avenir économique pour la petite Tunisie, le guide demanda la création d’une troupe folklorique afin d’animer les estivants sur le bord de mer. La troupe a été confiée à un athlète tchécoslovaque et Ismail Hattab s’est retrouvé à faire de la figuration parmi d’autres personnalités renommées du monde paysan. Lui, Ismail Hattab qui a chanté comme personne le héros-paysan (khammass) Mohamed Ben Salah Daghbagi, condamné au début du siècle dernier à mort par le Conseil de Guerre de Tunis.
 
Pour affaiblir la bourgeoisie destourienne, Ben Ali avait alors su, avec une certaine gauche issue de familles aisées, mettre en avant au début des années 90, un folklore tunisien chorégraphié non pas pour les touristes, mais pour une jet-set possédant deux pieds à terre, l'un à Paris et l'autre à Sidi Bousaid-La Marsa. C’était le concept Nouba, et on voyait une élite tunisienne sur les gradins de Carthage, ravie de goûter ces blues locaux jusqu’à faire exécuter par ses enfants du break dance sur de la zorna. Ici aussi, on voyait Ismail Hattab faire de la figuration dans un concept pensé à Tunis.

 La Tunisie des oubliés

Cette relation ambiguë entre culture rurale délaissée à l’intérieur des terres et citadine, exubérante et chatoyante, sur la Méditerranée, on pensait qu’elle volerait en éclat grâce à la révolution fusionnelle du 14 janvier 2011 et au sacrifice du vendeur de légumes de Sidi Bouzid. C’est sans compter sur les tenaces habitudes des citadins des grandes villes de Tunisie à occuper largement l’espace culturel du pays, ainsi que sa représentation à l’étranger, laissant à la jeunesse, du nord au sud, celle des vallées, montagne et du Sahara, des activités culturelles dignes des patronages version Front Populaire.
 
Il ne faut pas se voiler la face. Sidi Bouzid de décembre 2010, c’était le Clichy-Sous-Bois d’octobre 2005. Oui, le Printemps arabe est né dans un petit pays qui a une immense banlieue qui va de la Méditerranée jusqu’aux frontières sahariennes avec l’Algérie et la Lybie. Au lendemain de la Révolution de jasmin, on pouvait croire que Moncef Marzouki allait incarner cette émancipation des cultures du pays rural sur la scène nationale tunisienne, mais son burnous n’a été qu’un leurre, celui d’un militant des droits de l’homme happé par les Palais de Carthage et qui a oublié d’inscrire sa présidentielle en mémoire de Sidi Bouzid.
 
La jeunesse de l’intérieur de la Tunisie d’aujourd’hui, n’est pas celle de l’époque bourguibienne ou bénaliste. C’est une jeunesse connectée quotidiennement avec le monde et qui aspire à la reconnaissance sociale sans perdre ses racines culturelles. Elle est quotidiennement travaillée au corps par une radicalisation à l’islamisme qui est aux portes du pays et dans l’espace web consultable dans les cyber-cafés et même sur téléphone mobile.

Inconscience française
 
Lorsqu’elle regarde sur écran le Premier ministre Manuel Valls déclarer au lendemain du dramatique attentat de Sousse, « la Tunisie c’est nous», elle pense évidemment que le maître de Matignon ne parle pas d’elle, mais de la jeunesse dorée de la côte méditerranéenne. C’est terrible de le dire, mais les Tunisiens de Sidi Bouzid, de Gaafour (ville natale du terroriste de Sousse) pensent que le Premier ministre français, parle des Tunisiens qui ont accès au musée Bardot et aux plages de Sousse.
 
On peut penser que les touristes de Sousse sont les malheureux sacrifiés d’une absence de politique culturelle tournée vers le pays réel. Une absence accentuée par une inconscience française, se traduisant par une incapacité à aider la Tunisie à faire des réformes envers la jeunesse.

 

 

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