Michel Galabru sur scène, un géant au cœur doux

By www.touwensa.net janvier 05, 2016 596

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Il y a quelques semaines, le comédien était sur la scène du théâtre Montmartre-Galabru et se souvenait avoir été «Le Cancre». Il se moquait souvent de lui-même, mais il était pourtant l'une des figures les plus importantes du monde du spectacle.

Ses yeux se plissaient, il souriait comme un enfant qui prépare une bonne blague. Il avait l'air d'un enfant. Mais il avait près de soixante-dix ans de carrière, des films par dizaines et des pièces de théâtre aussi. On compte près d'une centaine de pièces depuis 1950...
 

Michel Galabru, qui s'est endormi dans son sommeil, lundi 4 janvier, dans un hôpital de la région parisienne, à l'âge de 93 ans, aura eu, au cinéma, à la télévision comme au théâtre, l'une des plus belles et foisonnantes carrières des comédiens de sa génération.
 

Il n'aura pas joué que des chefs-d'œuvre. Mais il aura servi les films de deuxième rayon et les comédies sans grande consistance, avec le même sérieux, le même respect des auteurs et du public, qu'il l'a fait pour les grands films et des pièces plus intéressantes. LeJuge et l'assasin de Bertrand Tavernier (rôle qui lui valut un César en 1977) ou pour Jules et Marcel, correspondance de Jules Raimu et Marcel Pagnol, qu'il joua plusieurs saisons avec le cher Philippe Caubère dans une mise en scène de Jean-Pierre Bernard créée à Grignan, ou encore Les Chaussettes opus 124 de Daniel Colas qu'il défendit avec le grand Gérard Desarthe en 2007-2008.
 

Ancien pensionnaire de la Comédie-Française
 

Un grand interprète, c'est très mystérieux. Cela ne s'explique pas. Comme tous les garçons de sa génération, le jeune Michel Galabru, né à Safi, au Maroc, le 27 octobre 1922, rêva un moment d'être joueur de football. Après les années marocaines - son père, ingénieur des Ponts-et-Chaussées avait édifié le port et d'autres ouvrages d'art dans le Protectorat comme il le fera ensuite en France - la famille revient en France.
 

Le jeune Michel a deux frères. L'aîné mourra de la tuberculose à 18 ans, le petit dernier, né en 29, deviendra médecin et écrira parfois des pièces de théâtre et des nouvelles. Michel Galabru prétendait qu'il avait été un très mauvais élève. Mais il était surtout rêveur. Il va trouver sa voie grâce à une de ses tantes qui lui offre un livre de Sacha Guitry.
 

Aussitôt, Michel Galabru se reconnaît un maître, un modèle. Cela sera déterminant. Après ses études à Montpellier, puis à Paris, il obéit à son père et entame des études de droit. Mais la guerre est là. Il est, comme beaucoup de jeunes de son âge, envoyé au STO (Service du travail obligatoire). Il va en Autriche, en Yougoslavie. Les partisans de Tito mettront fin à ces enrôlements très durs.
 

L'idée de faire du théâtre ne l'a pas quitté. Il réussit le concours d'entrée au Conservatoire et suit la classe de Denis d'Inès. Il reçoit un premier prix de comédie et est engagé à la Comédie-Française comme pensionnaire le 1er septembre 1950.
 

Un homme anxieux qui ne s'aimait pas
 

Il a tout pour être heureux. Mais quelque chose le mine: il ne s'aime pas. Il déteste son physique. Il a le sentiment que ce physique ne correspond pas à ses sentiments, à son âme. C'est une impression qu'il conservera toute sa vie durant. Et lui, qui était si peu enclin aux confidences, même sur le tard de sa vie, redira la même chose. Michel Galabru ou l'homme qui ne s'aimait pas.
 

Au Français, il enchaîne les rôles salle Richelieu et salle Luxembourg (l'Odéon). Courteline, Feydeau, comme Shakespeare, Molière, Beaumarchais, Marivaux, Musset, Sardou, Montherlant. Sept années ainsi et un jour il lit dans France Soir un article dans lequel un journaliste loue son jeu mais souligne qu'il n'a pas encore eu un grand rôle. Ni une, ni deux, il quitte le Français.
 

Très vite il enchaîne et joue dans le secteur privé avec Georges Vitaly (Shakespeare encore, comme Barillet et Grédy), devient une figure familière du Vieux-Colombier alors animé par Bernard Jenny et va jusqu'à Avignon pour jouer dans Les Rustres, comédie de Carlo Goldoni, mise en scène par Roger Mollien et Jean Vilar, en 1961 et 1962. Les Rustres, c'est une pièce à laquelle il ne cessera de revenir. En 1978, dans une mise en scène de Claude Santelli, en 1988, il met en scène ses camarades et lui-même pour le Printemps des Comédiens de Montpellier. En 2004, c'est Francis Joffo qui le met en scène au Saint-Georges, en 2011, Jean Galabru, son fils, à son tour, donne sa version et dirige son père pour les festivals de l'été.
 

Autre rencontre essentielle pour le comédien: Jean Anouilh. Les Poissons rouges mise en scène de l'auteur et de Roland Pietri au Théâtre de l'Oeuvre en 70, puis aux Célestins de Lyon.
 

On n'en finirait pas de citer des pièces. Évidemment, il préférait les comédies. Il aimait divertir le public. Et il pensait encore en termes «d'emploi» comme dans son jeune temps au Français. Il pensait qu'il n'était pas fait pour le tragique et être un grand acteur comique est très difficile.
 

De Monsieur Amédée d'Alain Reynaud-Fourton, Les Marchands de gloire de Pagnol, évidemment aussi La Femme du boulanger et ses chers Molière, Courteline, Feydeau. Une amitié solide, une admiration réciproque, une estime profonde le liait à Jérôme Savary. Il le mit en scène en 1985 dans La Femme du boulanger, pour Mogador. Le spectacle fut souvent repris. Dans Le Bourgeois gentilhomme également. Enfin, il y a trois ans, en décembre 2012, Michel Galabru endossa les costumes de chasseur de Tartarin de Tarascon avec Jérôme Savary, exténué par la maladie (il devait mourir quelques mois plus tard, en mars 2013), mais menant le spectacle avec entrain. Une production donnée sur la scène du André-Malraux de Rueil-Malmaison et retransmis en direct sur France 2.
 

Ainsi allait-il. Soucieux des autres. De ses enfants et petits enfants. Un homme bon, qui se ressourçait dans la maison du sud-ouest qu'il aimait. Un homme anxieux, qui s'interrogeait, devant la violence du monde, sur l'existence de Dieu. Un cœur pur qui aurait rêvé d'avoir un petit chapiteau et de s'arrêter dans les villages, de monter son petit cirque et d'y faire le clown avec ceux qu'ils aimaient et qui l'aiment pour toujours.
 

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