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Il n'a jamais fait mieux que dans “L'Homme qui venait d'ailleurs”. David Bowie s'est pourtant maintes fois essayé au cinéma. Son image était-elle trop forte pour l'écran ?
Au cinéma, il aura surtout été un fantôme. Sans âge. Un alien, un vampire de passage. Si spectral qu'il donnait encore la sensation d'être là, même absent. Aujourd’hui, rétrospectivement, on réalise soudain à quel point David Bowie a hanté notre imaginaire de cinéma, en creux, vivant par procuration à travers d’autres acteurs magnétiques, qui semblaient parfois ses réincarnations. Des noms ? Christopher Walken (dans Voyage au bout de l'enfer ou The King of New York), Tilda Swinton, Katerina Golubeva, Sharunas Bartas...
Ange et démon, homme et femme. Sa beauté androgyne était, on le sait, hautement photogénique – son transformisme, ses pochettes d’albums, ses looks successifs l’attestent. Une icône – désolé d'employer ce mot si galvaudé, mais cette fois-ci impossible de s’en passer. Une icône à la Peter Pan, trop forte peut-être pour s'effacer, être soluble dans le cinéma. Car les deux ont rarement fusionné ; en revanche, ils se sont influencés mutuellement. Le chanteur a plus d'une fois emprunté des motifs à l’esthétique de démiurges (Kubrick, Fritz Lang, Warhol..) tandis que les cinéastes se sont servis à satiété dans sa mine d'or discographique. Par facilité souvent. Plus rarement par affinité d’âme ou comme moteur d'inspiration – la course folle, désarticulée, de Denis Lavant sur Modern Love, dans Mauvais Sang de Carax, restant pour nous un modèle inégalé.
Etre ses avatars
L'apollon émacié a joué en tout dans une douzaine de films, guère plus. Deux se détachent surtout. L'un, parmi ses tout premiers tournés, est à son image : bizarre, baroque, futuriste, vaguement expérimental. C’est L’Homme qui venait d’ailleurs (1976) de Nicolas Roeg, cinéaste britannique qui avait déjà fait appel à une autre pop-star, à savoir Mick Jagger. Il s'agit d'une fiction abracadabrante mais on dirait un documentaire sur lui (1) – et c'est ainsi sans doute qu'il était le meilleur, lorsqu'il se contentait d'être l'un de ses avatars.
Le teint blafard, les cheveux courts teintés en roux, Bowie y est un extra-terrestre venu sur terre pour trouver une solution à la sécheresse qui sévit sur sa planète. L'humanoïde, camouflé dans une enveloppe humaine, bâtit peu à peu un empire industriel, en vendant des brevets révolutionnaires de technologie d'images. Dans cet univers un peu fumeux mais fascinant, entre science-fiction et conte philosophico-psychédélique, la star se fond sans souci. Il lui suffit d'être maquillé, de singer, de se cacher derrière des lunettes noires. Pas besoin d'incarner. Au fond, Bowie était plus performer qu'acteur. Le mime et la pantomime, la performance du théâtre d'avant-garde, voilà d'où il venait et ce qui ne l'a jamais quitté.
Relation sado-maso
L'exception, c'est sans doute Furyo (1983), variante auteuriste et crypto-gay du Pont de la rivière Kwaï. Cette fois, Bowie apparaît sans masque, il a du texte, un rôle de composition : celui d'un major anglais, prisonnier de guerre dans un camp japonais, à la fois rebelle et discipliné, rongé par un secret de jeunesse. Face à lui, un bourreau qui l'aime, son double nippon, joué par autre musicien, Ryuichi Sakamoto. Oshima filme cette relation sado-masochiste de manière implacable, mais aussi subtile. Bowie crame au soleil, sue sang et eau, y gagne ses galons d'acteur. On imagine qu'une nouvelle carrière va s'ouvrir. Mais rien ne vient vraiment. Sinon une prestation très honorable en vampire qui décompose soudain comme un simple mortel, dans un film aussi chic que kitsch, très eighties, Les Prédateurs, avec Catherine Deneuve en belle de nuit, prédatrice éternelle. Que dire ensuite de la comédie musicale, Absolute Beginners sinon que ce fut un naufrage notoire, esthétique et commercial? Après ça, le chanteur choisira des valeurs plus sûres : Martin Scorsese (hé, oui, c'est bien lui qui joue Ponce Pilate dans La Dernière Tentation du Christ) ou David Lynch (il est agent du FBI dans Twin Peaks). Mais qui s'en souvient vraiment ?
Il a marqué autrement, de fait. En prolongeant le geste de Warhol (2) et en se réalisant lui-même comme un concept pop, créatif et publicitaire à la fois. C'est moins le cinéma qui compte que l'image, sous toutes ses formes. Là dessus, il a été meilleur que quiconque. Il n'a pas inventé, mais a réinventé, à merveille. Eponge vivante, il a tout absorbé, recyclé, dupliqué. A titre d'exemple, son clip d'Ashes to ashes reste un prototype d'art visuel stupéfiant de modernité, où la sophistication voisine avec une poésie rudimentaire.
Aujourd'hui, son influence est sensible à travers une large partie de la culture pop. Bowie a irrigué la photo, le design, l'art, le roman. A tel point qu'on peut s'interroger : qui mieux que lui pourrait la représenter, en être le symbole le plus vivant ? Cela n'empêche pas malgré tout quelques petits regrets. Au regard de Furyo et de son interprétation hardie dedans, on se dit que certains cinéastes sont passés à côté de lui, qu'il y a eu des rendez-vous manqués. On l'aurait par exemple bien vu dans un film fantastique, à la Cronenberg. Mais d'ailleurs, dans Faux-semblants ou M. Butterfly, n'est-ce pas lui ?
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