«Sans dents», une douloureuse réalité

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Quoique cruelle et exagérée, l'expression « sans dents » attribuée à Français Hollande pour désigner les plus démunis n'est pas sans fondement.

Des «sans dents». C'est par cette expression imagée que François Hollande désignerait, en privé, les plus pauvres de ses concitoyens. Il n'est pas question de commenter ici le goût de la formule attribuée au président de la République par son ex-compagne, Valérie Trierweiler, dans son livre Merci pour ce moment. Si tant est qu'elle a vraiment été employée, cette allusion à la situation dentaire déplorable des couches sociales les plus défavorisées, ne manque, hélas, pas de pertinence.
 

Les études le confirment: plus on est pauvre, plus on présente une dentition en mauvais état. L'écart avec la population générale se creuse à mesure que les individus augmentent en âge. Si avant 25 ans, les personnes démunies n'ont que 1,3 dent absente de plus que la moyenne de la population, l'écart passe, après 50 ans, à 7,7, puisqu'il manque aux plus précaires de cet âge 12 dents en moyenne, contre 3 dans la population générale, rapportait en 2002 un rapport de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé.
 

Les inégalités sociales face à la santé dentaire apparaissent dès la petite enfance. À 6 ans, 9 enfants de cadres sur 10 n'ont jamais eu de caries, contre 7 enfants d'ouvriers sur 10 en 2006, rapportait en juillet 2013 une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Même décalage quant à la fréquentation du dentiste: parmi les 5-15 ans, 6 enfants d'ouvriers ont eu recours à un dentiste dans l'année, contre 8 enfants de cadres sur 10, soulignait l'enquête Handicap-Santé 2008.
 

Renoncement aux soins
 

La pauvreté s'accompagne souvent de malnutrition, qui fait le lit des problèmes dentaires à venir, mettait en garde l'Académie nationale de chirurgie dentaire dans son bulletin en 2002. «Les individus des groupes à haut risque de caries sont sous-alimentés et préfèrent nourrir leurs bébés au biberon. Ceux-ci sont sevrés plus précocement, puis ils consomment régulièrement des jus de fruit et des confiseries». Cette surconsommation de sucre chez l'enfant induit des défauts de croissance des dents: «des hypoplasies, c'est-à-dire des formations incomplètes de l'émail (…) ; le volume de dentine sécrétée est réduit et sa minéralisation moindre ; les réactions de défense au cours du processus carieux sont diminuées». «Tous ces indicateurs de caries sont à mettre en relation directe avec la pauvreté», concluent les auteurs.
 

Or malgré des besoins accrus en soins dentaires, les plus précaires déclarent renoncer plus souvent à recevoir des soins dentaires pour des raisons financières. Parmi les bénéficiaires du RSA, 27 % disent avoir renoncé à des soins dentaires au cours de l'année écoulée, contre 11 % parmi l'ensemble des 18-59 ans, indiquait une étude de la DREES publiée en juin.
 

Aux conséquences purement médicales d'une mauvaise hygiène dentaire, qui ne se limitent pas à la bouche mais peuvent affecter l'ensemble de l'organisme en causant maux de tête, sinusites, aggravation de maladies cardiaques et articulaires, s'ajoute un fort stigmate social. Le jeune écrivain Edouard Louis, qui raconte une enfance très pauvre dans son roman d'inspiration autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil), le met parfaitement en scène. «Les mères du village ne tenaient pas beaucoup à l'hygiène dentaire de leurs enfants. Le dentiste coûtait trop cher et le manque d'argent finissait toujours pas se transformer en choix. (…) Je paie encore actuellement d'atroces douleurs, de nuits sans sommeil, cette négligence de ma famille, de ma classe sociale, et j'entendrais des années plus tard, en arrivant à Paris, à l'École normale, des camarades me demander “Mais pourquoi tes parents ne t'ont pas emmené chez un orthodontiste”».
 

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