La galère d'être belle

Touwensa. Agences-  Atout incontestable dans la société de l’apparence, un physique avantageux peut entraîner quelques désagréments : compétences mises en doute, jalousie, petite vengeance voire harcèlement quand le sexisme s’en mêle. Quels sont les revers de la « prime à la beauté » ? Des vénus témoignent.

Avec son charme pénétrant et ses yeux bleus fichés dans un teint de porcelaine, Julia trouble son entourage. « Cela m'a valu quelques déconvenues », raconte-t-elle. Très tôt, ses proches évoquent son apparence en sa présence. « Les amis de mes parents disaient que j’étais une séductrice, déclaration assortie de mises en garde. Au lycée, on m’a jugée hautaine, orgueilleuse voire manipulatrice. Quand j’ai eu ma première expérience sexuelle, les gens se sont déchaînés. Ils étaient trop heureux de raconter que c’était avec un mec pas bien glorieux. » En classe, son professeur de français lui tend sa copie ¬– une mauvaise note ¬– et lâche : « Tu vois que je ne note pas qu’à la gueule. Ça ne suffira pas, ta gueule. »
 

Julia refuse pourtant de se plaindre, parce que ce serait « abusé » et que « la beauté reste une arme de négociation ». Elle admet que ses charmes ont pu biaiser ses relations avec les autres dans la sphère privée. « J’avais tendance à beaucoup séduire et à très mal aimer en retour. J’ai pu faire souffrir des gens. La séduction est un jeu tellement facile et gratifiant qu’il peut remplacer toute forme d'estime de soi. On peut développer du narcissisme, mais aussi un manque d’assurance », analyse-t-elle.
 

Lors de son premier stage dans un milieu culturel, la jeune femme se heurte aux brimades de sa directrice de service. « Cela allait des humiliations en réunion à la déconsidération de mon travail », précise-t-elle. Au bout de quatre mois, sa maître de stage lui explique très posément que sa chef « préfère les garçons » et qu’elle a un problème avec les filles « dans son genre ». « Je me suis demandé si je n'avais pas une attitude insolente, mais j'ai toujours fait profil bas. J'étais tétanisée par ma supérieure et je l'évitais. Elle m'a fait payer le fait d'introduire une espèce de menace pour elle, dans un monde hypermasculin où elle-même misait sur la séduction. »
 

«Prouver que l'on n'est pas qu'une jolie poupée»
 

Bien des jolies femmes rencontrent ces préjugés. Ainsi Viola, dont les amis se moquent : si elle a décroché un boulot ou réussi à poser un jour de repos, c’est parce que le chef a des « visées » sur elle. Hélène, elle, affronte une forme de discrédit malgré son diplôme de grande école. « C’est étonnant que tu sois intelligente. Non, parce que je veux dire, juste à te regarder… », s'est entendu dire cette jolie blonde apprêtée. Une fois dans la sphère professionnelle, on lui demande sans détour si elle est mieux payée en raison de son apparence. Elle rétorque qu’elle fait simplement partie d’un autre service, plus rémunérateur que celui de son interlocuteur. La jeune femme se souvient aussi d’un entretien de recrutement durant lequel on lui explique que, si elle est embauchée, ce ne sera pas pour « faire joli », même si « ça aurait pu ».
 

Si une apparence flatteuse peut aider à décrocher un emploi, le parcours est semé d’embûches, estime Clémence, brune pulpeuse travaillant dans la communication. Un potentiel recruteur lui a déclaré qu’il lui serait « impossible » de se concentrer en sa présence, en dépit de ses « compétences indéniables ». Un de ses patrons lui a même interdit une entrevue avec un journaliste, parce que ça ne ferait « pas sérieux ». « La beauté ouvre toutes les portes, mais c’est à double tranchant : on doit toujours prouver que l'on n'est pas qu'une jolie poupée », avance-t-elle. Même constat pour Hélène qui dit s'être sentie poussée à se surpasser au boulot. « Au final, la situation m'est favorable. Les gens sont parfois tellement étonnés qu’on puisse être blonde et savoir aligner trois mots qu’ils ont tendance à me voir comme plus intelligente que je ne le suis… Effet de contraste ! », S’amuse-t-elle.
 

« On devient une sorte de monstre »
 

La vie sentimentale n’est pas en reste. Sur un forum, Bianca raconte comment son amant lui répétait inlassablement qu'il craignait de la perdre ou qu'elle ne le trompe. Plus tard, il lui déclare qu’il n’aurait « jamais pu l'épouser », trop effrayé par les possibles écarts que sa beauté justifierait. « On devient une sorte de phénomène, de monstre », avance cette internaute.  
 

 « La beauté fait peur, estime la coach Isabelle Conti. Dans un cadre professionnel, elle rend jaloux. Si certaines en font un atout, d'autres sont la cible de rumeurs de coucherie et peuvent être mises au ghetto, même par des femmes. C’est le facteur de rivalité et d’envie qui joue, surtout dans un milieu compétitif. Une belle femme peut se voir contrainte d’adopter une attitude dure ou au contraire de raser les murs pour se protéger des médisances. »
 

Selon elle, le problème relève avant tout du sexisme. D'autant que les charmes d'une femme sont parfois brandis comme une « justification » à certains comportements machistes, alimentant le victim blaming (le fait de blâmer une victime). Une de ses clientes a ainsi cherché à « s’enlaidir » derrière de grosses lunettes et des vêtements amples pour se prémunir d'une « drague » trop appuyée. C’est encore sous couvert de flatterie que certains députés s’adressent aux assistantes parlementaires en commentant leur apparence. Julia l'assure, « la beauté fait partie de ces choses qui font de toi un objet public, exposé au harcèlement ».
 

Les beaux mieux payés, les belles dévalorisées
 

Réalité ou mythe ? Les sociologues se sont emparés du sujet sans parvenir aux mêmes conclusions. Deux visions cohabitent. D’un côté, le constat du « beautiful is good » (« ce qui est beau est bon »), de l’autre l’effet « beauty is beastly » (« la beauté est bestiale »). Pas de doute, la « prime à la beauté » semble bien réelle. Les beaux seraient mieux payés, se verraient prêter plus d’attention que les autres, et auraient même des rapports sexuels plus satisfaisants ! Selon le sociologue Jean-François Amadieu, auteur de l'essai Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Éd. Odile Jacob, 2002), le physique serait même l’un des principaux vecteurs de discrimination, de l’enfance au monde du travail, indissociable de la réussite. Pourtant, une poignée de chercheurs se sont penchés sur un aspect contre-intuitif de la question : et si la beauté était, dans certaines situations, un handicap ? Un néologisme anglais est ainsi apparu sous le nom de beautism pour désigner le préjugé visant une personne attirante. Selon le dico en ligne Urban Dictionary, cet argument serait toutefois « souvent utilisé par une personne séduisante pour masquer ses propres défauts »...
 

Plus sérieusement, une étude australienne de 2013 baptisée Unpacking The Beauty Premium arrive à cette conclusion : la prime à la beauté répercutée sur le salaire concerne surtout les hommes... et peu les femmes.
 

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