Saint-Valentin : une fête commerciale ? Alors faisons-en (enfin) la fête des "amoureux" !

By www.touwensa.net février 14, 2015 299

LE PLUS. Ce 14 février, de nombreux couples iront au restaurant, s'achèteront des fleurs et se murmereront à l'oreille des "je t'aime", parfois forcés. Car ce 14 février, personne, ou presque, n'échappera à la Saint-Valentin. Une fête devenue bien trop commerciale ? Alors à nous de remettre l'amour au goût du jour, prône la philosophe et psychanalyste Elsa Godart.

Le 14 février tout le monde s’affole : les fleuristes sont pris d’assaut, les chocolatiers s’emballent (et les chocolats avec !), les vitrines pullulent de cœurs et de Cupidons ailés en tout genre, la ville se pare de rouge carmin et les attentes affectives croissent du matin jusqu’au soir.

Gare à celui, en couple – évidemment amoureux – qui n’apporterait pas à sa belle le présent, gage de son amour sans faille. Criminelle est celle qui ne criera pas jusqu’au fond du corps, ce fameux "je t’aiiiiiime" à son cher et tendre, le jour J.

Bien sûr, tout cela n’a lieu que dans un monde lisse et sans nuage, un monde idéal et idyllique qui n’existe jamais vraiment tel qu’on le pense, tel qu’on l’espère car la vérité est tout autre. En quelques années, cette "fête" a joui d’une très mauvaise réputation : elle n’aurait de but que commercial. Idée farfelue, inspirée par des célibataires frustrés ou réalité implacable, fruit des logiques économico-utilitaires de notre société ?

Qui est Saint-Valentin ?

À l’origine d’une fête païenne antique symbolisant la fécondité du mois de février, Valentin a été récupéré et décrété "saint patron des amoureux" par l’Église catholique romaine. Mais ce n’est qu’au Moyen Âge que ce jour résonnera avec l’"amour-romantique".

Plusieurs saints seraient prétendants à Valentin, tous ayant subi le martyre tel que Valentin de Rome au IIIe siècle, ou encore Valentin de Terni à la même époque. Leur fête ayant été fixée le 14 février par le décret du pape Gélase Ier en 495. Mais ce n’est qu’au XIVe siècle que le 14 février est lié à une célébration amoureuse.

Aujourd’hui, de très nombreux pays la reconnaisse, l’honore et l’ont actualisé avec les usages de la contemporénéité : si au XIXe siècle, le billet doux avait la côte, il a été remplacé au XXe siècle par des cartes postales ; à présent les SMS et autre MMS ou encore les multiples cartes virtuelles ont fait leur lit – si l’on peut dire !

Une "fête commerciale" de célibataires ?

Pour ceux qui s’aiment, une évidence : nul besoin de la Saint-Valentin pour se rappeler les liens qui les unissent. Alors au fond, la Saint-Valentin ne serait-elle pas davantage la fête des célibataires plutôt que celle des couples-heureux-pour-toujours ?

Une fête qui serait dédiée aux personnes qui s’aiment et qui n’osent pas l’avouer ; aux timides ; à tous ceux qui seuls, traversent l’existence, sans pour autant renoncer à l’espoir d’être aimé ?

Qui, en étant célibataire, n’a jamais secrètement espéré recevoir le jour de la Saint-Valentin, une mot doux, un cadeau, une attention inattendu ? Comme un enfant, qui le jour de Noël, espère jusqu’au dernier moment que ses souhaits seront exhaussés ? Or cela n’aurait rien d’étonnant, car à l’origine, elle était bien une fête pour les célibataires.

Pendant l’Antiquité, le 14 février, les filles et les garçons célibataires jouaient à cache-cache. Ainsi, au travers de ce jeu des couples se formaient et des mariages étaient célébrés jusqu’au mariage. C’était aussi l’occasion pour certains hommes de se rapprocher de la "plus belle fille du village" ou encore pour certains couples d’officialiser leur relation jusqu’alors tenue secrète.

Aujourd’hui, la Saint-Valentin se présente comme une injonction sociale : "ce jour-là, tu dois aimer et être aimé". Et pour les laisser-pour-compte-de-l’amour, pour les exilés du cœur, pour les mendiants de l’affectif et pour tous les cœurs vides, le sentiment unanime d’une mise au banc de la société.

Pour eux, pas d’injonction, pas d’impératif, un peu de honte de ne pas entrer dans la norme, juste un sentiment de solitude plus grand encore, plus fort, plus amère et l’impuissance de ne pouvoir agir. Prisonnier d’un impossible en devenir, il n’y a plus alors de goût à rien, ni à l’espérance, ni à la révolte. Le 14 février, c’est la capitulation des célibatants, une mise à terre par K.O.

Mais alors, si la Saint-Valentin est inutile pour ceux qui s’aiment vraiment et qu’elle est violence pour ceux qui sont seuls, quel est encore son sens ? Elle ne devient plus qu’une fête commerciale, où l’amour se trouve asservi à son pire mésusage : une fonction utilitaire et marchandable.

Retrouvons de "l’amoureux" pour la Saint-Valentin !

On n’aime pas par décret, pas plus qu’on ne choisit de faire vivre des soubresauts et des rebonds à notre palpitant. L’état amoureux ne se convoque pas en un claquement de doigts ou par simple volonté.

Mais la bonne nouvelle c’est qu’"être amoureux", ce n’est pas seulement vivre une histoire plus ou moins passionnelle avec sa moitié du moment ; être "amoureux", c’est bien plus que cela. Par exemple le philosophe (philosophos) c’est étymologiquement, celui qui est "amoureux" de la sagesse.

D’ailleurs, le grec ancien a plusieurs termes pour traduire le mot amour, renvoyant chacun à un état d’amour particulier : celui d’Éros évoquant le plaisir, la concupiscence ; celui d’Agapè, marquant l’amour divin, désintéressé ; celui de Philia, qui regroupe aussi bien l’amitié que la bienveillance et enfin, Storgê  qui n’est autre que l’amour familial. Ces quatre notions aussi vastes qu’elles puissent être, représentent une grande palette de notre échelle affective et de nos liens amoureux avec les autres.

Alors, contre toute récupération commerciale, retrouvons de l’amoureux pour la Saint-Valentin, en cultivant avec force et puissance tous nos liens d’amour : aussi bien avec nos grandes amitiés nos "philia", qu’au sein de notre famille, Storgê ; contre un amour prêt-à-consommer en kit cupidon, rose rouge à la boutonnière, imposons l’amour désintéressé de l’agapè ; enfin parvenons à redonner à la Saint-Valentin sa vraie puissance érotique, qui n’est autre que le désir, le désir de vie, autre nom d’Éros.

 

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