Le beau mâle

Ces temps-ci, la beauté masculine fait le buzz. Parfois avec humour et brio, parfois avec des initiatives plus que déconcertantes. Des dents en passant par la barbe ou l'entrejambe, l'anatomie masculine émule l'imagination des marques.

Devinette : quel est le point commun entre le dentifrice Signal White Now Men, le peigne à moustache Beardbrand, le déodorant intime Comfy Boys et le CC Gel Total Recharge de Biotherm Homme ? Réponse : l'homme, cuisiné à toutes les sauces par le « gender marketing ». Depuis quelques années, en effet, il crée le buzz en cosmétique mais pas seulement. On lui dédie un site daddycoool.paris quand il devient papa et on va même jusqu'à lui consacrer un Salon au Palais de Tokyo. Le mâle, semble-t-il, fait recette. Toutefois, du côté de l'industrie de la beauté, la donne est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Car si le marché du soin s'élève à 3,3 milliards de dollars au niveau mondial, selon Mintel qui lui prédit même une hausse jusqu'à 4,6 milliards en 2019, en France, il peine à prendre. Et ce notamment sur l'axe du sélectif où il n'occupe que 5 % du marché global du soin. Rien d'étonnant donc si de rares marques de luxe comme Acqua Di Parma complètent leur offre de soins spécifiques, ou si à l'instar de Dior, Chanel, Yves Saint Laurent ou Givenchy, d'autres préfèrent se concentrer sur les dérivés parfumés de leurs jus iconiques.

Alors pourquoi un dentifrice au masculin ? Pourquoi une ligne de gels douche pour homme chez Le Petit Marseillais ou, plus étonnant, Mojo, un soin adoucissant et rafraîchissant pour le sexe ? Selon Benjamin Smadja, directeur marketing du site auféminin.com et expert en gender marketing, cette tendance s'inscrit dans un retour de la segmentation du genre avec pléthore de produits dédiés aux hommes comme aux femmes et ce, sur tous les secteurs. Et de citer les polémiques générées par Stabilo avec Neon, le surligneur au féminin pour celles qui « accèdent au pouvoir […] et veulent affirmer leur différence », dixit la marque, ou les brosses à dents Sanogyl pour elle avec « une tête plus fine adaptée aux bouches plus petites » et pour lui adaptée à sa mâchoire « plus grande […] avec une action renforcée sur la plaque dentaire »… Des exemples parmi d'autres puisque le genre en marketing, originaire des Etats-Unis, existe depuis des décennies. Un constat étonnant, à l'heure où les inégalités hommes-femmes sont en permanence dénoncées. Pourtant, selon Isabelle Musnik, directrice du trend magazine « Influencia », il correspond à l'air du temps : « On est dans un monde de contrastes et de paradoxes. On adore les communautés, le co-working, le crowdfunding et, parallèlement, on recherche l'opposé comme le tout personnalisé ou le "do it yourself". Que conclure à cela : un ras-le-bol des diktats, un besoin d'émancipation, de pouvoir choisir quand on a envie de suivre telle tendance ou telle prescription. En même temps, notre société demeure assez conservatrice avec de vieux ancrages socioculturels. »

Si des exemples, comme Stabilo ou Sanogyl, sont discutables, on peut difficilement contester que du côté cosmétique, hommes et femmes ont leurs spécificités. « On sait depuis longtemps que sur le plan dermatologique et sur celui des usages, les deux sexes diffèrent. Des différences telles que nous avons adapté le discours pour présenter les produits. Dans les soins féminins, on parle par exemple de "routine beauté" alors que chez les hommes ce sera un "programme" », explique Axel Doye, directeur de la formation France de Biotherm Homme, qui fête ses trente ans en 2015. « De même, pour un exfoliant, on dira à un client masculin qu'il est "désincrustant", un terme qui pour les femmes fait davantage référence aux éponges de vaisselle ! C'est étonnant mais c'est véridique », dit-il. Autre argument avancé par Audrey Breton-Domercq, directrice marketing France de la marque, les hommes n'ont plus envie d'être féminisés dans l'acte d'achat, ils veulent des produits spécifiques puisque c'est désormais dans les usages que prendre soin de soi, de son apparence. « Pourquoi se priver de la bonne mine d'un week-end à Deauville si on l'obtient avec un soin teinté comme le CC Gel qui respecte des codes masculins ? » suggère-t-elle. Chez Le Petit Marseillais, qui lance sa ligne de gels douche parfumés, on fait le même constat : « Quand on observe l'offre d'un point de vue olfactif, on se rend vite compte que les hommes n'ont pas beaucoup de choix. En effet, leurs gels douche sont majoritairement des fougère ou des aromatiques, familles "caricaturales" de l'univers homme. En tant que marque leader sur la catégorie des douches, et offrant aujourd'hui une large palette de parfums, nous avons souhaité leur apporter cette diversité avec des senteurs comme bois d'oranger et argan. »

Du gender marketing tout aussi spécifique qu'une autre catégorie de produits virils qui envahit le marché, celle pour la barbe. Entre des huiles parfumées pour hipsters, un peigne ou une cire à moustache, ou simplement une tondeuse vintage façon barbier, la multiplicité de l'offre dépasse l'entendement : dernière nouveauté, la barbe teinte en rose ! Les raisons de telles tendances, une quête perpétuelle d'identité, notamment chez les plus jeunes (18-25 ans) qui sont friands de produits spécifiques. « Les hommes et surtout la nouvelle génération ne se reconnaissent plus dans la classique figure du "pater familias", elle se cherche, tente et multiplie les styles pour se construire de nouveaux référents », explique Emilie Coutant, sociologue. Mais n'est-ce pas aller trop loin dans l'offre masculine avec un déodorant comme Comfy Boys ? Ou dans le même esprit avec un soin tout aussi intime comme Mojo ? Sachant que des tentatives pour assumer sa virilité n'ont pas toujours trouvé acquéreur. Exemplaire, l'anti-âge pour testicules lancé en 2011 par Veda. Ca ne s'invente pas. Réponse de Roy Halfon, directeur Europe de Phytobiol qui commercialise Comfy Boys : un soin comme celui-ci répond à une vraie demande puisqu'aux Etats-Unis où il a été développé, nombreux étaient les hommes et notamment les sportifs qui se plaignaient d'inconforts dus à la transpiration. Résultat, le produit a fait d'emblée un carton dans les clubs de sport et la marque envisage de lancer son homologue pour les femmes. Se pourrait-il qu'à l'avenir le marketing pour homme inspire la cosmétique féminine ? Il semblerait que ce soit déjà le cas.


 

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