Obésité, le rôle clé de l'intestin grêle

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Des chercheurs français ont découvert d'importantes modifications intestinales dans l'obésité, notamment une perturbation de la régulation des sucres et des lipides qui pourrait expliquer les dégâts induits pour la santé.

Grâce à ses replis microscopiques, la surface de l'intestin chez l'homme est équivalente à celle d'un court de tennis! En cas d'obésité sévère, cette surface devient comparable à celle de trois terrains, révèlent des chercheurs français de l'Inserm et du CNRS au Centre de recherche des Cordeliers et à l'Ican (Institut de cardiométabolisme et nutrition de la Pitié-Salpêtrière, Paris) dans la revue internationale Cell Metabolism.
 

Première conséquence du triplement de la surface d'échange, «l'organisme des personnes obèses reçoit donc un apport accru de nutriments venant de l'intestin au cours des repas», expliquent au Figaro le Pr Édith Brot-Laroche et le Pr Karine Clément, qui ont dirigé ces recherches. Il n'est pas facile d'étudier l'intestin grêle car il se trouve entre l'estomac, en amont, et le gros intestin, en aval. Mais 185 obèses qui devaient bénéficier d'une chirurgie de l'obésité (chirurgie bariatrique) ont accepté de donner aux chercheurs de l'Ican des fragments de leur grêle prélevés lors de l'intervention. Les comparaisons ont ensuite été faites avec 33 sujets de poids normal qui avaient eu des biopsies du grêle pour diverses raisons.
 

Des molécules qui entretiennent l'inflammation
 

Les chercheurs français n'ont pas seulement remarqué un triplement de la surface intestinale ils ont aussi noté des changements plus profonds qui lèvent le voile sur l'auto-aggravation de l'obésité. «L'obésité sévère provoque un changement des défenses immunitaires dans l'intestin grêle, expliquent les Pr Clément et Brot-Laroche. Nous avons montré que les cellules de l'immunité (notamment les lymphocytes T, NDLR) sont plus nombreuses dans l'intestin grêle des personnes obèses en comparaison avec celui des personnes de poids normal. L'activation des cellules immunitaires logées à côté des cellules responsables de la capture des nutriments ne détruit pas la muqueuse intestinale mais en modifie le fonctionnement.»
 

Car les cellules immunitaires vont sécréter des molécules (cytokines) qui entretiennent l'inflammation, comme si la muqueuse était continuellement agressée. Le prix à payer de cette inflammation chronique est lourd sur le plan métabolique puisqu'il se traduit par une résistance à l'insuline, cette hormone dont le rôle est de réguler l'entrée des glucides (sucres) dans les cellules intestinales. «Cela aboutit à l'augmentation des flux de sucres et de lipides vers les autres tissus de l'organisme, ce qui contribue à aggraver l'obésité», expliquent les chercheurs.
 

Système immunitaire interconnecté avec notre statut métabolique
 

«C'est une étude très importante, confirme le Pr Daniel Mucida, professeur d'immunologie à l'université Rockefeller de New York. La fréquence augmentée des cellules T dans l'intestin des patients obèses pourrait constituer une composante importante d'un cercle vicieux initiée dans les désordres métaboliques qui conduit à des complications sévères. De plus, cette étude illustre combien notre système immunitaire est interconnecté avec notre statut métabolique, étant dépendant de lui mais aussi l'influençant largement.»
 

Peut-on envisager d'utiliser un jour des traitements anti-inflammatoires pour réduire les dégâts métaboliques induits par l'obésité? Il y a en effet des études chez la souris qui montrent une amélioration de leur métabolisme avec la prise d'anti-inflammatoires, mais d'une part la souris n'est pas l'homme, et, d'autre part, les anti-inflammatoires peuvent aussi agresser le tube digestif. «Les approches nutritionnelles sont probablement moins agressives et la prise en charge des obésités sévères est globale et multiple, faisant intervenir des expertises médicales et psychologiques diverses, soulignent les chercheurs français, mais il n'est pas exclu que dans le futur des molécules à actions spécifiques sur la barrière intestinale puissent être développées.»
 

D'ici là, l'équipe de l'Ican est sur une nouvelle piste: «L'étude nous a appris qu'il existe une grande variabilité dans les caractéristiques inflammatoires de l'intestin ; certaines personnes ont peu de changements de leur statut immunitaire, d'autres présentent une inflammation plus importante.» Il faut maintenant comprendre pourquoi.
 

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