« Pepe » Mujica, l’homme qui a fait sortir l’Uruguay de l’ombre

Touwensa (Agences). Mokhtar TRIKI

Avec son style peu conventionnel, puis une loi inédite sur la légalisation du cannabis, le président uruguayen José "Pepe" Mujica, ex-guérillero emprisonné et torturé sous la dictature, a réussi la prouesse de placer sur le devant de la scène ce petit pays du cône sud-américain.

L'Uruguay est devenu mardi le premier pays au monde à légaliser la production, la distribution et la consommation du cannabis. Avec cette loi, ce pays de 3,2 millions d'habitants a poussé encore plus loin les initiatives menées dans d'autres pays jusqu'à provoquer un fort écho international.
 

Ce texte a été porté à bout de bras par le président Mujica, un homme rond et moustachu à l'esprit libre qui se veut pragmatique au-delà de toute idée reçue et dont le profil détonne dans les sommets internationaux.
 

Ministre de l'Agriculture de 2005 à 2008, celui que les Uruguayens surnomment "Pepe" renâcle devant le port de la cravate et le protocole, revendique ses racines paysannes et se distingue par un franc-parler et un bon sens "gaucho" qui fait mouche auprès de ses partisans.
 

A son arrivée au pouvoir en 2010, tout le monde s'était souvenu de cet épisode survenu une vingtaine d'années plus tôt, lorsque, fraîchement élu député, il était arrivé en scooter au Parlement vêtu d'un jean et d'une chemise avant de se faire refouler par les gardes.
 

Le "buzz" Mujica

Il y a quelques mois, un véritable "buzz Mujica" s'était emparé des médias internationaux, qui se sont plu à le présenter comme "le président le plus pauvre du monde".
 

Agé de 78 ans, il vit dans une extrême simplicité, se déplace fréquemment sans garde du corps et reverse 87% de son salaire à des projets sociaux de son parti. Délaissant la résidence présidentielle, il continue de vivre dans sa modeste "chacra" (ferme) du quartier populaire du Cerro, à Montevideo, où il cultive des fleurs avec Lucia Topolansky, également ancienne guérillera devenue sénatrice.
 

"J'ai besoin de peu pour vivre. Je suis arrivé à cette conclusion parce que j'ai été prisonnier durant 14 ans, dont 10 où si la nuit, on me donnait un matelas, j'étais content", déclarait-il lors d'un entretien à l'AFP en 2012.
 

Car l'indépendance d'esprit et la simplicité de l'agriculteur ont véritablement pris racine dans une vie de militantisme radical.
 

M. Mujica a fondé au début des années 60 la guérilla d'extrême-gauche du Mouvement de Libération national-Tupamaro (MLN-T), qui prônait la lutte armée contre le système capitaliste de ce qui était encore une démocratie.
 

En 1970, il est blessé de plusieurs balles et fait prisonnier, avant de participer à l'évasion la plus spectaculaire de l'histoire de l'Uruguay, quand 111 prisonniers se sont enfuis d'une prison de Montevideo.
 

A l'époque, les actions des "tupamaros", sur fond de grave crise économique, contribuent à la radicalisation du climat politique, qui dégénère en un coup d'Etat militaire en juin 1973. "Pepe", arrêté dès 1972, restera en prison jusqu'au retour de la démocratie en 1985. Il fut emprisonné dans des conditions inhumaines et torturé.
 

Aujourd'hui, l'aura de "Pepe" dépasse les frontières et plusieurs leaders de la gauche latino-américaine, le défunt Hugo Chavez en tête, l'ont adoubé comme une sorte de père spirituel.
 

Dans ce contexte, ses appels au calme au Venezuela et à la paix en Colombie sont généralement bien accueillis par les différentes parties. En outre, son discours au sommet de Rio+20 en 2012, quand il avait questionné le modèle de développement et de consommation des pays riches, avait marqué les esprits.
 

Comble de cette reconnaissance internationale, le cinéaste serbe Emir Kusturica, deux fois lauréat de la Palme d'Or au Festival de Cannes, envisage de réaliser un documentaire sur Jose Mujica dans le but déclaré d'établir "un legs humaniste transcendant les frontières".
 

Car Jose Mujica a fait de la tolérance un de ses principaux chevaux de bataille. En 2012, il a fait approuver par le Parlement une légalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), faisant de ce pays le troisième à adopter une telle mesure dans un continent très catholique. De même, ses efforts en faveur de la réconciliation avec l'armée malgré les funestes épisodes de la dictature sont notables.
 

Mais alors que Mujica monopolise l'attention avec ces spectaculaires réformes, le progrès social en Uruguay patine.
 

Le pays affiche certes un taux de croissance soutenu, mais il reste plombé par une forte inflation et une monnaie faible, alors qu'une réforme de l'Etat promise par le président est toujours dans les cartons et que des secteurs comme l'éducation et la santé souffrent de dysfonctionnements.
 

En outre, les conflits sociaux ralentissent régulièrement l'activité économique du pays et l'Etat peine à juguler une insécurité croissante.
 

Évaluer cet élément
(0 Votes)