La banalisation du sexe à l'école en débat

Touwensa. Agences - Une association s'alarme de certaines pratiques qui s'apparentent à de la prostitution, dès le collège.

«Un baiser contre un DVD, un attouchement des seins contre un vêtement, une fellation contre un cadeau… La prostitution, ça commence quand?» L'association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) s'apprête à lancer le premier outil pédagogique pour aider les enseignants à aborder ce sujet délicat avec les jeunes. «Notre propos n'est pas de faire peur aux familles! assure Armelle Le Bigot Macaux, sa présidente. Mais il faut ouvrir les yeux: la banalisation de la sexualité, la facilité d'accès au porno, la réduction du corps humain à un objet, ce sont, pour nos adolescents, des facteurs de risque de basculement dans la prostitution. En tout cas, ces pratiques vont polluer leurs relations psychoaffectives.»
«Avec notre kit pédagogique, nous donnons [aux enseignants] une sorte de mode d'emploi, de la maternelle au collège, pour aborder les abus et les violences sexuelles»
 
 
Armelle Le Bigot Macaux, présidente de l'association Agir contre la prostitution des enfants

 

Selon l'ACPE, entre 5000 et 8000 mineurs se prostitueraient en France. Une prostitution, qui, note Armelle Le Bigot Macaux, peut débuter «comme un jeu, avec une fellation dans les toilettes». Vianney Dyevre, responsable de la brigade de protection des mineurs de Paris, invité jeudi dernier au colloque de l'association, estime qu'«il y a un chiffre noir très important de choses qu'on ne sait pas». D'après un sondage OpinionWay pour l'ACPE, 25 % des adultes ont déjà entendu parler de prostitution dans les toilettes des établissements scolaires. Un tiers des enfants ont connaissance «de cas d'enfants qui auraient fait des choses anormales avec leur corps contre des cadeaux». «Et que fait-on? Rien!» s'insurge la présidente de l'association. Quand on leur demande «qui devrait informer les enfants sur ce danger de la prostitution en priorité?» les sondés répondent à 66 % les parents et à 48 % les enseignants. «Le problème, c'est que les parents ne savent pas comment faire, indique Armelle Le Bigot Macaux. Les enseignants, eux, ont l'éducation à la sexualité au programme. Avec notre kit pédagogique, nous leur donnons une sorte de mode d'emploi, de la maternelle au collège, pour aborder les abus et les violences sexuelles. D'après les retours de nos tests, notre kit passe très bien en maternelle, où l'on discute autour du thème “mon corps m'appartient” et est également très apprécié au collège, où l'on est plus explicite, avec des livres et des vidéos pédagogiques.» Interrogé vendredi dernier sur le sujet, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, «sait que ce phénomène existe. Il n'est pas tabou».
 

Selon une étude de l'Association française de promotion de la santé dans l'environnement scolaire et universitaire, un tiers des visiteurs de sites pornographiques sont des ados, dont 75 % ont moins de 12 ans.«Les enfants en danger sont les 12-15 ans, explique le Dr Gisèle George, pédopsychiatre. C'était l'âge des premiers baisers, c'est devenu celui des premières fellations. Les jeunes pensent que cette pratique est un signe d'amour. Ils s'envoient des “sextos”, des images de leur corps nu. Les filles trouvent normal de faire des fellations dans les toilettes ou d'être “prêtée” à des copains.» Pas si simple quand «les copines l'ont fait», de savoir dire non. «Elles le font pour ne pas être au ban du groupe, poursuit le Dr George. C'est une période de changement pubertaire où les enfants ont une perte d'estime d'eux-mêmes et horreur de leur corps. Ils n'ont donc de cesse que de l'agresser. Et pourquoi pas rentabiliser cela en demandant 30 euros? C'est ainsi que l'engrenage de la prostitution se met en place.»
 

«On lutte contre la malbouffe alimentaire. Et la malbouffe sexuelle ? Le sexe est devenu le “junk sex”, un produit de consommation rapide»
 

La philosophe Inès Pelissié du Rausas
 

La philosophe Inès Pelissié du Rausas vient de publier S'il te plaît, maman, parle-moi de l'amour*. «On lutte contre la malbouffe alimentaire. Et la malbouffe sexuelle? interroge-t-elle. Le sexe est devenu le “junk sex”, un produit de consommation rapide. Aussi la fille hypersexualité devient-elle un produit de consommation, jetable après usage. C'est l'image qu'elle intériorise, surtout par le biais des clips vidéo. Est symptomatique le fait que le mot “bitch” (salope) puisse être perçu comme un compliment par des jeunes filles.» Auteur d’Enfants perdus, Claire Berest raconte l'un des dossiers dont elle a eu connaissance lors de son enquête à la brigade de protection des mineurs: «Des gamins de 12 ans des beaux quartiers qui jouent à “Action ou Vérité”, rapporte-t-elle. Les filles ont accepté des fellations et des sodomies. Elles étaient consentantes, mais ont porté plainte car elles avaient été filmées.»
 

Le pire, renchérit Armelle Le Bigot Macaux, «c'est la phrase qu'on entend tout le temps: “ce n’est pas grave de faire ça!”… Il y a même des filles qui précisent que “les vrais bisous, on les garde pour les copains”». Lorsque le jeune se rend compte de la gravité de ses actes, poursuit le Dr George, «les conséquences sont la honte, le repli sur soi, et parfois les actes auto-agressifs, comme les scarifications ou les tentatives de suicide…». Comment prévenir ce danger? «Il faut que les parents aussi osent parler de sexualité, insiste le Dr George. Pas en copain-copain, mais en étant dans la transmission. Aborder la sensualité, pas la mécanique. En somme, montrer à cet enfant qui devient autonome le Code de la route de la vie. Car chacun sait que lorsqu'on voit un feu rouge et qu'on est tout seul, on est tenté de le brûler…»
 

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