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Le recouvrement des avoirs du clan de Ben Ali à l'étranger reste difficile, malgré quelques premiers résultats. Des sociétés écrans, des prête-noms rendent l'identification de ces biens complexe, notamment en France où la Justice semble manquer de moyens. État des lieux.
Par Pierre Desorgues
1700m2
Au cœur du quartier du Marais, à Paris, l’hôtel particulier Amelot-de-Bisseuil. C’est un chef-d’œuvre de l’architecture baroque française. Le bâtiment, joyau du XVIIe siècle et classé Monument historique, semble inhabité. Une façade endommagée, une porte monumentale où sont sculptées des scènes mythologiques : tout cela, visiblement, n’est plus entretenu et se délabre. Les 1700 m2 de l’hôtel sont-ils dans le même état ? Impossible de le savoir car ici, on ne rentre pas. A l’interphone, une voix vous répond sèchement. "Je n’ai rien à dire. Je ne sais par qui est le propriétaire de cet immeuble."
37 millions d’euros
La Banque Centrale de Tunisie, elle, pense connaître le nom de l’heureux propriétaire de ce bien. Mohammed Sakhr el Matri aurait acheté l’immeuble en 2010 pour la modique somme de 37 millions d’euros. L’homme a épousé en 2004, Nesrine Ben Ali, la fille aînée du dictateur déchu. Depuis, le beau-fils de l’ancien président tunisien est recherché par Interpol (Organisation internationale de police criminelle, ndlr). L’achat de l’hôtel particulier a, vraisemblablement, été financé grâce au pillage de l’économie tunisienne lorsque le clan était au pouvoir. Mohammed Sakhr el Matri s’est constitué une fortune estimée à plusieurs centaines de millions d’euros et cela, en quelques années seulement. La méthode était bien rodée : il rachetait, pour une bouchée de pain, de grandes entreprises du pays. Les récalcitrants avaient à faire aux policiers du régime. Difficile de ne pas céder. Quelques semaines avant le déclenchement de la révolution de Jasmin, Sakhr el Matri s’était emparé de la moitié du capital de Tunisiana, l’un des principaux opérateurs de télécommunication du pays.
Information juridique
Plus de trois ans après la chute du régime de Ben Ali, l’hôtel Amelot-de-Bisseuil n’a toujours pas été saisi par la Justice française. Le parquet de Paris, quelques jours après la débandade du clan de Tunis, décidait pourtant d’ouvrir une information juridique sur la provenance des avoirs et des biens immobiliers situés en France. Deux ONG, Sherpa et Transparence International France s’étaient portées parties civiles, rejointes quelques mois plus tard par l’Etat tunisien. Une instruction judiciaire sur la provenance de la fortune du clan de Ben Ali et de son épouse Leila Trabelsi a également été lancée par la Justice suisse. Les résultats sont maigres: hormis un avion, aucun bien du clan n’a été saisi en France.
Au moins 5 milliards de dollars ?
Stéphane Bonifassi, avocat à la cour de Paris et défenseur des intérêts de l’Etat tunisien ne cache pas une certaine frustration devant la lenteur du dossier. Quelques appartements très luxueux, à Paris et sur la Côte d’Azur ont bien été localisés mais le processus d’identification des biens immobiliers conduit par le juge d’instruction Roger Le Loire, est loin d’être finalisé. "Les estimations des montants des biens immobiliers et des avoirs à l’étranger des Ben Ali varient souvent du simple au double. Certaines ONG avancent des chiffres compris entre 5 et 10 milliards de dollars. Je n’y crois pas. Les Ben Ali avaient surtout tendance à s’emparer de biens situés en Tunisie, contrairement aux dictateurs d’Afrique sub-saharienne qui cherchent à sortir le plus de capitaux possibles de leurs pays. La valeur des biens immobiliers et financiers, situés à l’étranger, peut être estimée à plusieurs centaines de millions de dollars. En France, cette valeur se chiffre à plusieurs dizaines de millions de dollars. Il s’agit essentiellement de biens immobiliers", précise Stéphane Bonifassi. "Les processus d’identification restent longs et complexes. Les membres de la famille Ben Ali n’achetaient jamais de biens directement en leur nom propre. Vous ne trouverez jamais un acte notarié signé par Zine el-Abidine Ben Ali ou par Leila Ben Ali. L’acte d’achat passe par un prête-nom et une société immobilière. L’argent provient de comptes luxembourgeois alimentés eux-mêmes par des comptes suisses. En outre, l’identité des intermédiaires et des sociétés immobilières varie dans le temps et selon le montant des acquisitions", ajoute l’avocat.
Un montage complexe
L’hebdomadaire Jeune Afrique, dans son édition du 8 février dernier, croit savoir que l’hôtel particulier du 17, rue Le Sueur, dans le XVIe arrondissement appartient à la fille de Ben Ali, Nesrine. La société immobilière derrière l’acte d’achat porte le nom de ‘Nes’. "Les montages sont plus complexes", s’amuse Stéphane Bonifassi. L’identification d’un bien situé à Paris passe, en effet, par l’identification de comptes bancaires situés dans d’autres pays. La coopération entre différentes juridictions s’avère donc nécessaire pour permettre le recouvrement de ces biens mal acquis. Jean-Pierre Brun travaille au sein de STAR (Stolen Asset Recovery), une unité d’enquête montée par la Banque mondiale et les Nations unies. "STAR" aide et conseille les autorités tunisiennes dans le recouvrement des avoirs et des biens volés par la famille de l’ancien dictateur. L’analyste veut pourtant mesurer le chemin parcouru. "Plus de 80 millions d’euros ont été identifiés. Deux avions et deux yachts ont été rapidement recouvrés et en avril 2013, la Tunisie a réussi à saisir 28,8 millions de dollars, grâce à nos informations sur un compte en banque au Liban appartenant à l’épouse de Ben Ali", énumère cet expert de la Banque Mondiale.
Une harmonisation juridique ?
Les textes législatifs, les procédures juridiques varient selon les pays et les enquêtes ne progressent pas au même rythme. La saisie du compte a été ainsi relativement simple au Liban. "L’ouverture des procédures d’entraide judiciaire entre le Canada et l’Etat tunisien est encore en cours", trois ans après la chute du régime, confie ainsi Jean-Pierre Brun de la Banque Mondiale. L’harmonisation juridique entre les pays permettrait d’accélérer le recouvrement des biens, selon cet expert. La Justice suisse vient ainsi d’identifier des avoirs de près de 100 millions de francs suisses sur deux comptes de Belhassen Trabelsi, frère de l’épouse de Ben Ali. Ces avoirs sont gelés. La Justice suisse, dès l’ouverture de l’instruction judiciaire, a en effet qualifié les clans Ben Ali-Trabelsi "d’organisation criminelle".
Le fardeau de la preuve se renverse. Les personnes soupçonnées par la Justice suisse d’avoir volé le peuple tunisien doivent ainsi prouver leur innocence et non l’inverse. Cette disposition selon le cabinet suisse Enrico Monfrini, mandaté par la Banque Centrale tunisienne, a permis d’identifier rapidement certains biens sur la place de Genève. Mais elle n’est pas utilisée en France.
Manque de moyens
Sophia Lakhdar, directrice de Sherpa, association de lutte contre les crimes, regrette surtout le manque de moyens du Pôle financier de Paris dans le traitement de ces affaires de biens mal acquis. Le juge d’instruction Roger Le Loire n’a à sa disposition qu’un seul fonctionnaire de la police judiciaire. "Les affaires des biens mal acquis concernent majoritairement des dictateurs d’Afrique subsaharienne, encore en place. La France possède des intérêts dans cette région. On peut s’interroger sur les raisons du manque de moyens alloués au Pôle financier", affirme Sophia Lakhdar. Maître Bonifassi ne croit pas à un manque de volonté politique de la part de l’Etat français dans ce type d’affaire. La France a ainsi nommé un juge d’instruction et ouvert une enquête. "Ces retards, hélas, traduisent surtout le manque de moyens de l’appareil judiciaire et policier français. La Tunisie a fait une demande de commission rogatoire auprès de Paris. Le document avait disparu des radars de l’administration pour être enfin retrouvé au bout de cinq mois… sous une pile !" déplore cet avocat qui représente les intérêts de la banque centrale tunisienne. Face à un tel manque de moyens, l’avocat demande au Pôle Financier et au parquet de dégager des moyens nécessaires pour que ces affaires aient une vraie chance d’aboutir.
Le clan Obiang
"Le Pôle financier enquête également sur les biens mal acquis par le fils de Teodoro Obiang, dictateur de la Guinée Équatoriale. La perquisition de l’hôtel particulier du fils Obiang a été très médiatisée. Mais ceci n’est qu’un feu de paille, insiste Maître Bonifassi. La saisie des biens et le gel des avoirs ne sont vraiment possibles que si le pays victime de ces vols porte plainte et échange des informations avec les enquêteurs. Le clan Obiang, au pouvoir, ne va pas livrer des preuves sur ses propres agissements. Par contre, l’Etat tunisien coopère. La Banque Centrale tunisienne fournit toutes les informations dont elle peut disposer. Les chances de succès sont infiniment plus grandes."Maître Bonifassi s’interroge : "Doit on consacrer autant de temps et de moyens sur l’affaire du financement de la campagne présidentielle d'Édouard Balladur ? L’homme n’a plus d’avenir politique. Le jeune Etat démocratique tunisien a besoin, lui, de renflouer rapidement ses caisses. La Justice française doit rapidement faire des choix." Le temps presse pour cet avocat qui conclut : "Nous sommes dans une logique de contre-la-montre. Le risque de voir partir ailleurs ce qui n’a pas été gelé est grand."
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