Tunisie: Le Mouvement Ennahdha plus que jamais isolé

By HuffPost Maghreb/TAP septembre 10, 2013 734

Les islamistes au pouvoir sont tiraillés de toutes parts. Entre des alliés au pouvoir insatisfaits pour des raisons diverses, des soutiens "révolutionnaires" qui s'effritent, un cordon coupé entre des "salafistes" pointés du doigt et une opposition qui ne cède pas, Ennahdha ne sait plus où donner de la tête... et ce qui pourrait donner satisfaction à l'un, déplait à l'autre. Isolé, Ennahdha change de discours pour se rapprocher de son meilleur ennemi de la scène politique, Nida Tounes.

Les salafistes traqués par le pouvoir

A la suite de son accession au pouvoir, Ennahdha s'est montré conciliant voire laxiste vis-à-vis de ceux qui rappelaient au leader du mouvement, Rached Ghannouchi, "sa jeunesse", évoquant les salafistes aujourd'hui fortement décriés.

"(La mouvance d') Ansar Al Charia (sait) qu'une partie majoritaire d'Ennahdha ne s'oppose pas à elle sur le plan idéologique. Les déclarations des Ourimi, Ellouze et Chourou, parlant au nom d'Ennahdha, ne les contrediront pas. (...) Ses membres sont passés de 500 en 2012 à presque 5000 en 2013 en raison de la politique de tolérance menée par Ennahdha", affirme Alaya Allani, spécialiste de l'Islam politique et radical au Maghreb, dans un entretien accordé au quotidien La Presse.

Ces mêmes "partisans" de la Charia (Ansar Al Charia) aux côtés desquels les militants d'Ennahdha manifestaient pour demander l'inscription de la loi islamique dans la Constitution, ceux à qui l'Etat autorisait la tenue de leur meeting annuel, sont aujourd'hui chassés par le pouvoir, pointés du doigt comme les responsables quasi exclusifs des violences, assassinats et autres actes terroristes survenus ces derniers mois en Tunisie.

Lors de sa dernière conférence de presse, Ali Larayedh, chef du gouvernement, ne laisse plus de place au doute. Autrefois appelés prudemment "extrémistes religieux", les ennemis sont à présent expressément nommés: La mouvance d'Ansar Al Charia est qualifiée d'organisation terroriste, avec toutes les mesures exécutives et juridiques qui en découlent.

"Il y a la crise économique, sociale et sécuritaire qui a unifié, pour la première fois dans l'histoire du pays, les partis de l'opposition, l'UGTT, l'UTICA, l'Ordre des avocats et la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme. Devant cette nouvelle configuration, le parti au pouvoir a dû faire un choix difficile: pour se rapprocher de ses adversaires, Ennahdha a décidé de sacrifier ses alliés. Plusieurs observateurs considèrent que ces derniers ont servis de simples bouc émissaires dans les négociations", analyse Alaya Allani.

Avec une marge de manoeuvre réduite et une situation géopolitique encore fragilisée par la répression des Frères musulmans en Egypte, Ennahdha n'a plus le choix et doit stratégiquement se défaire de ses alliés radicaux devenus encombrants.

Les islamistes font trop de concessions pour les "révolutionnaires"

Ennahdha s'isole également d'un soutien de taille, intenable et intransigeant, celui des "protecteurs de la révolution". Ces mouvements ou partis dits "attachés aux objectifs de la révolution", ont deux principaux credo: le respect de la légitimité et l'immunisation (ou épuration). Le mouvement Wafa, mené par Abderraouf Ayadi (ex CPR) ou encore les Ligues de protection de la révolution, s'inscrivent pleinement dans cette démarche.

Interviewé pour la première fois par Nessma TV (une chaîne de télévision privée vivement critiquée et attaquée par ces "révolutionnaires", pour la diffusion du film Persepolis et pour sa ligne éditoriale jugée partisane et hostile aux islamistes), Rached Ghannouchi s'est attiré les foudres de ces soutiens légitimistes, mais aussi d'un certain nombre de militants du parti. La principale raison de cette indignation concernait ainsi la disposition affichée du leader d'Ennahdha de renoncer à la loi d'immunisation de la révolution, censée nettoyer la scène politique des "résidus de l'ancien régime".

En outre, au sein de l'Assemblée nationale constituante (ANC), Ennahdha ne parvient pas à calmer les ardeurs du groupe Wafa, désireux d'en découdre avec Mustapha Ben Jaâfar, depuis que ce dernier ait décidé de suspendre unilatéralement les travaux de l'Assemblée. Pour sa réaction timorée vis-à-vis de son allié au pouvoir, Ennahdha est lâché par le mouvement Wafa qui décidera vendredi, à l'issue d'une réunion des élus non retirés, de quitter la "coalition pour l'accélération de la phase transitoire". Ennahdha, Nida Tounes et l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) cherchent, selon Abderraouf Ayadi "le partage du pouvoir dans le nouveau système", rapporte Tunis Hebdo.

"N'empêche, cela ne semble pas peiner outre mesure Ennahdha, qui se débarrasse ainsi d'un partenaire gênant", commente l'hebdomadaire.

Les prérogatives du président de la République divisent le CPR et Ennahdha

Si le Congrès pour la République s'oppose à un gouvernement apolitique et à un éventuel accord entre Nida Tounes et Ennahdha qui ne pourrait qu'être préjudiciable pour le président de la République, Moncef Marzouki, le principal point de désaccord entre les deux alliés au pouvoir concerne le projet de Constitution et particulièrement la répartition des prérogatives entre les deux têtes de l'exécutif.

Rassemblés lors de réunions officieuses afin de tenter de trouver un consensus autour des points encore litigieux du projet de Constitution, les deux formations campent chacune sur sa position et s'attaquent par communiqués interposés.

Dans un communiqué publié le 1er septembre dernier, le CPR a en effet condamné les méthodes d'Ennahdha et son absence de volonté dans la recherche du consensus. Le parti de Moncef Marzouki accuse les islamistes de vouloir instaurer une dictature parlementaire.

Répondant à ces attaques, le mouvement Ennahdha accuse à son tour le CPR de vouloir un "régime présidentiel déguisé" et déplore les méthodes employées.

En plus de cette guerre récurrente que se livrent le CPR et Ennahdha au sein de l'ANC, les islamistes, souvent incommodés par les sorties de Moncef Marzouki, ne laissent à ce dernier que très peu de marge de manoeuvre. Laminé par de multiples démissions, le CPR n'a plus le poids dont il pouvait se prévaloir au lendemain des élections et a donc été écarté pendant longtemps des pourparlers menés par l'UGTT, ne jouant qu'un rôle de figurant.

Ettakatol n'assume plus les dépassements

Souvent effacé au sein de la Troïka gouvernante, Ettakatol joue au contraire un rôle déterminant dans la crise politique actuelle mais se détache sensiblement de ses alliés d'Ennahdha. La décision unilatérale de Mustapha Ben Jaâfar de suspendre l'Assemblée constituante a été déterminante dans le rapport de force entre le pouvoir en place et l'opposition, favorisant les revendications de cette dernières.

Franchement positionné derrière l'UGTT, Ettakatol appelle à l'établissement d'un gouvernement apolitique et à la révision des nominations basées sur l'appartenance partisane dans les administrations.

L'opposition ne lâche rien

Malgré les appels à l'apaisement et une promesse de quitter le pouvoir après l'achèvement des travaux de la Constituante, l'opposition n'entend pas stopper sa mobilisation jusqu'à la démission du gouvernement d'Ali Larayedh.

Contrairement à la crise ayant suivi l'assassinat de Chokri Belaïd, les partis de l'opposition restent relativement unis au sein du Front du salut national et, à quelques exceptions près, ne cèdent pas aux chants des sirènes d'Ennahdha qui a tenté, à plusieurs reprises, de les diviser.

Un rapprochement avec Nida Tounes?

Tiraillé de tous les côtés, sacrifiant ses anciens alliés dans le cadre de préférences stratégiques qui lui assureraient une certaine pérennité, Ennahdha fait le choix de s'isoler de ces partenaires pour beaucoup encombrants, pour d'autres inutiles.

Cependant, malgré une opposition encore unie en surface, le ton a changé entre les deux meilleurs ennemis de la scène politique. Avec des concessions difficiles opérées par Ennahdha au risque de s'attirer le mécontentement d'une partie de sa base et de ses anciens partenaires, contre le rétablissement du dialogue avec Nida Tounes, considéré pendant longtemps comme une réincarnation du RCD dissous, un nouveau rapport, plus apaisé et plus conciliant, semble s'être établi entre les deux formations rivales.

Tour à tour invités sur le plateau de Nessma TV après leur rencontre "secrète" à Paris, Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi laissent entrevoir, dans leur discours un rapprochement politico-pragmatique de leurs deux partis libéraux-conservateurs, islamiste pour l'un, bourguibiste pour l'autre. Ce rapprochement, qualifié par beaucoup de "contre-nature", laisserait sur le bas côté les petits alliés de chacun des deux camps, s'il venait à se concrétiser.

 

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