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Ouided Bouchamaoui est la patronne des patrons. Loin d'attendre les réformes, elle les propose et est prête à les imposer si nécessaire.
En lisière de Tunis, cité El Khadra, l'Utica est une tour de contrôle de la vie économique et syndicale ainsi qu'un passage obligé. L'ambassadeur du Japon quitte le salon orné d'un tableau des bourgeois de Tunis, celui des États-Unis y prenait le thé la veille. Demain, ce sera une délégation allemande. La jeune démocratie en cours de construction peut s'appuyer sur très peu de pouvoirs indépendants. L'Utica en est un. Forte de 150 000 adhérents, cette union regroupe tous les secteurs d'activité, à l'exception de ceux du tourisme, de la banque et des assurances. "Mais nous avons d'excellents rapports avec eux", s'empresse de rassurer Ouided Bouchamaoui. Installée derrière un bureau noir laqué, elle fait face une longue table de réunion. Au plus fort des crises politiques, on s'y réunit, on cherche des "solutions, car les gens d'influence peuvent aider".
Une obsession : "remettre le pays au travail"
La cinquantaine en mode austère, elle en impose. Madame la présidente parle sans salamalecs. Issue d'une famille puissante (pétrole, BTP, textile), originaire du petit village de Bouchamma, gouvernorat de Gabès, elle dirige la maison des patrons depuis 2011. Elle y a fait l'intérim, son prédécesseur ayant des comptes à rendre à la justice après la chute de Ben Ali. Élue en 2014, son mandat court jusqu'en 2018. La crise qu'encaisse la Tunisie, elle l'explique. "L'influence directe de la Libye, l'Europe notre premier partenaire en crise, l'explosion du commerce parallèle", synthétise-t-elle. Les législatives lui permettent de rencontrer "ceux qui vendent du rêve".
À tous, elle explique qu'en 2017 il faudra rembourser "huit milliards de dinars" à différentes institutions mondiales. Elle pointe le risque que courent les finances de l'État qui irait droit dans le mur en klaxonnant. Son obsession ? "Remettre le pays au travail !" Obsession partagée par le Premier ministre Mehdi Jomâa qui le confiait au Point en mai dernier. Une récente étude, menée par une association, a révélé que l'administration ne travaillait que "huit minutes effectives par jour". "Il faut appliquer la loi", dit-elle, "rien d'autre". Et de lister, à la façon d'une todo list, "la remise à plat du code des investissements, d'ouvrir les dossiers des entreprises publiques, d'arrêter les amnisties fiscales à répétition..."
Ouided Bouchamaoui appelle à plus de vérité et plus de fermeté
Lorsqu'on évoque le fléau des régions défavorisées, elle reconnaît que "nous sommes tous responsables de cette situation". Il y a un dossier qui a le don de l'énerver : il trouve ses racines à Gafsa, dans le centre-est du pays. L'usine de phosphate est au maximum à 30 % de sa productivité depuis dix-huit mois à la suite d'un mouvement de grève. Deux gouvernements (Larayedh, Jomâa) ont jugé urgent d'attendre. La CPG (Compagnie des phosphates de Gafsa) est bloquée par des habitants non employés par l'usine. Une situation qui coûte plusieurs milliards de dinars à l'économie. Elle souhaiterait que lors du journal de 20 heures, on affiche la production de la CPG : "Ce serait 20 % le lundi, 26 % le mardi..., comme ça les gens comprendraient." Dans sa ligne de mire : les technocrates au pouvoir.
En quête de compétents courageux
Au lendemain de l'installation à la Kasba - le Matignon tunisien - du gouvernement de technos de Mehdi Jomâa, "tous les dossiers sont ouverts". Politiques, syndicalistes, société civile, gouvernants, experts : tous jouent le jeu. Pas de tabou. La bombe à retardement, alias la Caisse de compensation (qui plombe le budget tout en profitant aux plus aisés), est décortiquée. Les semaines passent, puis la décision politique manque. Ouided Bouchamaoui regrette que "le gouvernement Jomâa n'ait pas su profiter de sa situation pour agir, être ferme". L'audit a été réalisé, les solutions préconisées, mais "ça n'a pas abouti".
En cette période électorale, législatives et présidentielle donnent la cadence au calendrier, "les partis n'osent pas dire la vérité". Conséquences, les intempéries économiques virent à la tempête. Les propositions farfelues égrenées par de nombreux candidats (hypothèse de taux de croissance dopée à l'EPO) n'ont guère amusé l'Utica. "Envoyez-nous vos économistes", demande-t-elle aux partis. Puis elle décide de recevoir les présidentiables. Et elle martèle les fondamentaux. À ses yeux, "la future Assemblée nationale sera de meilleur niveau, avec des élus plus compétents". Mais, promis, elle ne se taira pas.
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