Tunisie. Le parti islamiste Ennahda regagne du terrain

Depuis novembre, les démissions de députés du bloc parlementaire du parti au pouvoir, Nidaa Tounès, se succèdent. Le parti est en passe de perdre sa majorité parlementaire, laissant le champ libre au parti islamiste Ennahda.

La scène politique tunisienne a vécu durant ces derniers mois au rythme d’une guerre fratricide au sein du parti au pouvoir Nidaa Tounès [l’Appel de la Tunisie]. Le premier parti de Tunisie s’est effrité au vu et au su de ses électeurs, dont l’incrédulité a vite fait de céder à la colère. Tant d’espoirs et d’attentes qui ont été balayés en un tour de main, à coups de menaces, d’invectives, de démissions. Rien ne va plus dans le camp dit des “progressistes” que se voulait être Nidaa. A ce stade du feuilleton, qui n’a que trop duré, plusieurs députés ont quitté le bloc du parti à l’Assemblée. D’autres ont carrément jeté l’éponge et ont démissionné de Nidaa.

Que reste-t-il réellement de cette formation qui représentait, il n’y a pas si longtemps, la première force politique de Tunisie [Nidaa Tounès est sorti vainqueur des législatives et présidentielle fin 2014] ? Ce week-end, entre Sousse et Tunis, deux événements d’importance ont consacré la scission au sein de Nidaa Tounès. D’un côté, le congrès consensuel de Nidaa, adoubé par la présence de son fondateur et président de la République, Béji Caïd Essebsi, de l’autre le meeting populaire de son ancienne figure et secrétaire général, Mohsen Marzouk. Le dernier se voulant une démonstration de force, pour montrer qu’on bénéficie toujours d’un assez fort soutien.  


Au cœur de cette lutte menée par la faction d’Hafedh Caïd Essebsi [fils du président] et celle de Marzouk : les députés du parti. Poussé à prendre position, ou restant en retrait, chacun a vite fait de choisir son camp. Ceux qui ont été le plus médiatisés sont, bien évidemment, les dissidents, appelés le Groupe des 31. Un groupe qui a menacé à plusieurs reprises de se retirer du bloc parlementaire, ou du parti, avant de se rétracter, également à maintes reprises.

Ce qu’ils clamaient depuis le début, c’est que les bureaux politique et exécutif de Nidaa sont les seuls cadres légitimes de la direction du parti. Ce qu’ils condamnaient, c’est la mainmise sur le parti du fils du président de la République et de son clan, qualifiés d’“exclusionnistes” et accusés de s’être écartés des valeurs et principes portés par Nidaa.

Un parti qui n’a pas su s’imposer

En tout, 21 démissions de députés du bloc parlementaire Nidaa Tounès [qui compte 86 députés sur les 217 de l’Assemblée nationale] se sont succédé, ainsi que 8 au sein du parti du même nom. Pas plus tard que la semaine dernière, le Groupe des 31 s’est réuni afin de préparer la liste des démissionnaires. Toutefois, certains de ses membres ont exprimé leur intention d’attendre les résultats du congrès consensuel de Sousse avant de trancher.

Khawla Ben Aicha a été l’une des premières démissionnaires du bloc, évoquant les différends au sein du parti, notamment l’alliance avec le parti islamiste Ennahdha, pomme de la discorde, entre autres. La députée a critiqué le fait que le parti n’a pu imposer ni sa ligne politique ni son programme électoral, affirmant qu’il se trouve tiraillé entre ceux qui veulent l’islamiser et ceux qui veulent y intégrer des “figures mafieuses. La plupart des députés démissionnaires du bloc parlementaire partagent cette position.”

Le bloc parlementaire formé par Nidaa Tounès se trouve ainsi relégué à la deuxième position au sein de l’Assemblée, derrière celui d’Ennahda. Des démissions qui font du parti islamiste la formation majoritaire avec 69 élus. Des changements vont par conséquent s’opérer dans le paysage parlementaire. Cela affectera, en l’occurrence, les structures du Parlement, plus particulièrement les commissions parlementaires.

Les petites fourmis d’Ennahda travaillent en silence

Pour faire barrage à un tel scénario, Mohamed Fadhel Ben Omrane, président du bloc parlementaire Nidaa Tounès, a fortement dénoncé ce qu’il appelle le “tourisme parlementaire”, chose inacceptable, selon lui, moralement et légalement. “Pour ceux qui ne se reconnaissent plus au sein d’un bloc et veulent démissionner, ils doivent le faire de l’Assemblée et non pas du bloc, parce que cela influence l’équilibre des forces au sein de l’ARP, décidé par le peuple !” avait-il tonné. Pour ce faire, M. Ben Omrane a adressé une note au président du Parlement, afin d’élaborer une position légale, et ce pour que les députés sachent que leur démission se fera de l’ARP et non pas du bloc.

Entre-temps, les petites fourmis d’Ennahda travaillent en silence, préparent leur prochain congrès, sans que des voix dissidentes ne s’élèvent. Ce n’est pas faute de différends au sein du mouvement islamiste, mais leur discipline fait qu’on n’étale pas son linge sale en public. Son chef, Rached Ghannouchi, a été l’invité d’honneur du congrès de Sousse et a prononcé un discours devant un parterre de ces mêmes gens qui l’abhorraient il y a peu. Du tourisme politique et des retournements de vestes et de valeurs, la Tunisie n’en est pas sortie.

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