Les alternatives silencieuses de Mehdi Jomâa

Cela fait un peu plus d’un an qu’il a officiellement quitté la scène politique et qu’on ne l’a quasiment plus revu sur une scène médiatique ou publique. En dépit de cette « absence », force est de constater que son nom est régulièrement rappelé dans les médias et souvent cité dans les salons. Que prépare l’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomâa ?

Il y a ceux qui, pour exister politiquement, multiplient les conférences de presse, les interviews, les déclarations et les polémiques. On annonce un projet par ci et on dénigre un hypothétique adversaire par là. L’essentiel est qu’on parle d’eux, de préférence en bien, et toutes les ficelles sont bonnes à prendre: on rappelle ses années de militantisme lorsqu’on s’est cousu la bouche pendant que les autres la fermaient, on se réclame d’un leader politique défunt en s’autoproclamant son héritier unique et on se présente comme le « sauveur », « le meilleur » ou « l’incorruptible ». La vitrine est belle, les mannequins sont beaux, mais ça s’arrête là. Car de projet concret, il n’y en a point. Et puis, il y a ceux qui préfèrent s’occuper des fondations avant d’attaquer la façade. Le béton n’est certainement pas beau à voir, mais il est essentiel à toute construction qu’on veut solide.
 
Après avoir quitté la Kasbah un certain 6 février 2015, Mehdi Jomâa n’a quasiment plus parlé dans un média. Est-il retourné aux affaires après une brève expérience politique de deux ans ? « Oui, il faut bien que je vive et que j’assure des rentrées d’argent à ma famille », dit-il à son entourage. Les médias ? Il évite toute apparition publique, bien qu’il n’ait jamais cessé de rencontrer des journalistes, triés sur le volet, avec qui il maintient des relations cordiales et s’entretient exclusivement en « off ». La même démarche est entreprise avec les plus gros hommes d’affaires et d’influence du pays, mais également les diplomates et les décideurs internationaux. Mais le tout se passe en toute discrétion. Même les indiscrétions sont étouffées. Qui, par exemple, sait que Mehdi Jomâa a passé son réveillon avec le Roi du Maroc ? Ou du contenu des tête-à-tête qu'il a eus en novembre dernier avec

Abdelaziz Bouteflika et Abdelmalek Sellal ?

En dépit de son silence religieusement observé, on parle souvent de Mehdi Jomâa dans les médias. Et ce ne sont pas uniquement les journalistes et les animateurs qui parlent de lui. Un leader politique, qui ne sait plus avec qui en découdre, l’a récemment descendu en flammes, dans deux stations radio. Ce qu’il lui reproche ? C’est que les médias ne parlent de lui qu’en bien, alors qu’il n’a (selon ce « leader ») rien fait de bien durant son année à la présidence du gouvernement.
 
Jalousie ou inquiétude ? En regardant de l’intérieur la ruche de Mehdi Jomâa, sise dans un quartier huppé de Tunis, ce « leader » a de quoi s’inquiéter et le jalouser, tout comme les autres dirigeants d’échoppes politiques aux belles vitrines.

La ruche en question est mise à disposition par un généreux donateur participant au « projet ». Grande villa de trois niveaux, bien gardée, mais fort discrète. On n’y entre qu’après avoir montré patte blanche. « C’est ici que tout se prépare », nous dit-on. Et qu’est-ce qui se prépare ?

L’idée première part d’un constat, exactement celui fait par Béji Caïd Essebsi en 2012 : il n’y a pas de véritable alternative capable d’être un réel contrepoids aux actuels gouvernants. Ce vide fait que quelques personnalités pragmatiques de tous les domaines ont décidé de se rassembler pour imaginer un programme politique concret, applicable et séduisant. On insiste à dire, sans convaincre, que ce n’est pas un parti politique, ni même l’ébauche, mais plutôt un think tank qui prendra la forme d’une fondation. Le nom est déjà sélectionné et ce sera « Tunisie Alternatives ». « Tounes el badael » en arabe.  

Quant à la composition, les personnalités en question, on trouve outre Mehdi Jomâa, Hédi Laarbi, Neila Chaâbane, Emna Kallel, Taoufik Jelassi, Kamel Bennaceur, Taher Lakhdher, Walid Belhadj Amor, Sana Ghenima, Aziz Majoul...
 
Ce ne sont que les noms qu’on a bien voulu nous donner, car il y en a d’autres et de calibre supérieur dont plusieurs ministres du gouvernement Jomâa.

Ces derniers préfèrent pour le moment la discrétion, tout comme les hommes d’affaires de renom et même des personnalités aux tendances islamistes.

C’est là tout l’ADN de Mehdi Jomâa (ou de son « Tunisie Alternatives »), les compétences se sélectionnent en fonction de leurs compétences, justement, et non en fonction de leurs orientations religieuses ou de leur militantisme et encore moins en fonction de leur haine à telle idéologie ou amour à tel personnage. Ces caractéristiques de discrétion et de pure compétence représentent l’autre molécule de l’ADN de Tunisie Alternatives, qu’on trouve rarement ailleurs : ici, on ne se la joue pas !

D’ores et déjà, une équipe de communication est mise en place, dirigée, elle aussi, par une autre « personnalité » aux compétences certaines. C’est une ruche dans la ruche, composée de jeunes belles têtes qui savent être efficaces et, on le constate au quotidien, ce n’est pas donné à tout le monde. On y écrit des analyses, on surveille d’un coin de l’œil les chaînes d’informations internationales sur les écrans accrochés aux murs, on assure la veille, on observe (avec amusement) la concurrence et ses dénigrements, on étudie les textes, le tout sans bruit.
 
Concrètement, Tunisie Alternatives c’est quoi ? Réponse du service de communication : « C’est un laboratoire d’idées indépendant et ouvert qui vise à fédérer les compétences tunisiennes pour proposer au pays des stratégies et des programmes de développement alternatifs, afin de sortir la Tunisie des difficultés qu’elle traverse aux plans sécuritaire, économique, social, culturel et de la crise des valeurs républicaines et citoyennes.

L’objectif est de contribuer à l’édification d’une Tunisie démocratique, prospère et juste, à travers l’offre de propositions innovantes permettant de relever le défi des transformations nécessaires des modèles politique, économique et social de la société et d’en accélérer la mise en œuvre. »
 
Le projet semble prometteur, mais un peu trop optimiste quand on connait la réalité du pays. « C’est là la raison principale de la discrétion, nous répond l’un des acteurs du projet. On ne saurait préparer la charrue avant les bœufs. On ne peut pas courir les plateaux télé, sans avoir au préalable concrètement préparé quelque chose de viable et de solide. La fondation d’un projet se doit d’être solide et, pour se faire, elle exige des centaines d’heures de travail minutieux ».

La date de médiatisation de tout cela ? « Nous communiquerons quand nous serons prêts, mais nous serons prêts à temps ! ». Et si le calendrier politique est bousculé pour une raison ou une autre ? « Si le calendrier est bousculé, nous pouvons dire que nous serons prêts avec une bonne fondation déjà. »

Sous-entendu, les autres n’ont que la (belle) vitrine de prête…

 

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