Tunisie - Saisie d'armes par la douane: Retour sur un cafouillage institutionnel et médiatique

SÉCURITÉ - 13 jours plus tard, l'affaire reste toujours obscure mais révèle plusieurs dysfonctionnements sécuritaires et médiatiques.

Le 10 février 2016, la douane tunisienne annonçait un gros coup de filet "contre le terrorisme" lors d'une conférence de presse: la mise en échec d'une tentative de trafic d'armes et de munitions dans la ville de Nabeul, le 9 février.

L'acheminement d'armes d'un conteneur provenant de Belgique, passé par le port de Gênes et dont l'importateur est un citoyen belge, a été pisté par la douane depuis le port de Radès jusqu'à Nabeul. L'agence TAP et plusieurs autres médias parlent alors de la saisie d'une munition de 1.000 cartouches, un revolver de calibre 9mm, une arme de guerre, des munitions, sept passeports étrangers, entre autres.

La caverne d'Ali Baba

Le même jour, Adel Ben Hassen, directeur général de la douane intervenant en grande pompe sur le plateau de 24/7 sur Al Hiwar Ettounsi, a décrit les objets saisis comme "une véritable caverne d'Ali Baba", tandis que les images des armes supposées défilaient.

"Il y a les images de cette caverne dont vous parlez", avait renchéri Mériem Belkadhi, l'animatrice de l'émission.

Le principal suspect arrêté est, selon lui, "un Belge venu investir dans une usine de faux-bijoux en Tunisie".

    "Ce n'est pas la première opération (saisie d'armes) mais peut-être que la douane ne communique pas aux médias à propos de ses réalisations", a-t-il dit après avoir loué la "stratégie de la modernisation de la douane entreprise par le nouveau gouvernement".

Une tempête dans un verre d'eau

    Toutefois, le 18 février, soit neuf jours plus tard, le juge d’instruction auprès du pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme au tribunal de Nabeul, a ordonné la libération du principal accusé.

    Selon Jeune Afrique, le procureur général a indiqué que "le rapport balistique effectué sur les armes saisies à l’intérieur du conteneur a prouvé que ces armes étaient des jouets et ne présentaient aucun danger pour la sécurité du pays. En se basant sur ce rapport, l’aspect terroriste de cette affaire a été écarté".

    Ce jour-là, Meriem Belkadhi se demandait dans la même émission où elle a reçu le directeur général de la douane quelques jours plus tôt, si l'affaire n'était pas finalement "une tempête dans un verre d'eau".

Sur la même chaîne, Al Hiwar Ettounsi, Hamza Belloumi en préambule du débat politique "Al Yawm Athamen" arborait en direct une fausse arme:

"N'ayez pas peur, c'est un jouet. Un prototype de celui-là a été découvert dans le conteneur d'armes du Belge libéré aujourd'hui", lançait-il face caméra.

A la suite de la déconvenue de la douane, certains internautes ont vivement critiqué ses dirigeants:

Le membre du bureau exécutif du syndicat de la douane, le colonel Hatem Hlel, a tenu à défendre sa corporation en indiquant qu'il y avait malgré tout "une arme à feu" dans ce coup de filet, revoyant largement à la baisse les chiffres annoncés le 10 février.

    "Il y a toute une campagne contre les douaniers pour les déprécier", s'est-il plaint. "Pour quel intérêt, veut-on déformer le travail des douaniers?", s'est-il interrogé dans cette interview du 19 février sur Shems FM.

Après l'emballement

La stratégie de communication de la douane a-t-elle viré à la confusion générale? Pour Larbi Chouikha, professeur universitaire en sciences de l'information et de la communication à l'IPSI contacté par le HuffPost Tunisie, cette affaire révèle d'abord un "cafouillage" dans la communication institutionnelle de l'Etat, "incapable de donner une information fiable dans une situation de crise, tandis que les citoyens s'interrogent".

Elle confirme ensuite, selon lui, "l'appauvrissement" du journalisme en Tunisie:

"Au lieu de faire des reportages d'investigation ou des papiers d'enquête, on organise de sempiternels débats et on fait des micro-trottoirs", a-t-il affirmé.

Plusieurs médias ont été virulents envers cet emballement médiatique. Le média électronique Nawaat , a dénoncé "une campagne d’intox qui cache mal les dysfonctionnements des services de l’Etat mais aussi les dérives des médias dominants".

Le blog "Tunisie résilience", décryptant les armes montrées par un reportage du JT de la télévision nationale, a dénoncé un vague "d'informations alarmistes inondent les réseaux sociaux, les médias plaçant une grande partie de la population dans un état de stress et de paranoïa aigüe devant des dangers qui n'en sont pas vraiment alors que les vrais risques ne sont quasiment pas abordés".

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