En Tunisie, le syndicat des journalistes a décrété une « grève de la dignité », suite à l'auto-immolation par le feu d'un journaliste qui protestait contre le chômage et la misère frappant sa région déshéritée de Kasserine, dans le centre-ouest du pays.
Le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a décrété, mardi soir, une « grève de la dignité » au lendemain de l'auto-immolation par le feu d'un journaliste tunisien.
Fixée au 14 janvier 2019, la grève coïncidera avec le huitième anniversaire de la «Révolution de la dignité», du nom du soulèvement populaire tunisien déclenché par l'auto-immolation d'un marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010.
Abderrazak Zorgui, caméraman dans une chaîne de télévision privée tunisienne, s'est immolé par le feu, lundi à Kasserine, pour protester contre le chômage sévissant dans cette région du centre-ouest du pays.
Dans une vidéo publiée sur sa page Facebook, quelques instants avant la tragédie, le correspondant régional avait annoncé vouloir « déclencher, tout seul, une révolution».
S'adressant aux «chômeurs de Kasserine, ceux qui n'ont pas de source de revenu, qui ont le ventre creux», Zorgui a appelé à prendre prétexte de son sacrifice pour «descendre dans la rue, brûler des pneus, et casser».
«C'en est assez! Huit ans qu'on nous promet du travail. Les janviers (anniversaires de la Révolution, ndlr) se succèdent, et il n'y a rien. Que des mensonges! (…) Que celui qui veut me rejoindre ou me soutenir, soit le bienvenu. Parce que là je fais protester tout seul. Je vais m'auto-immoler quoi. D'accord? Si ça peut profiter à quelqu'un, c'est tant mieux», s'indigne Abderrazak Zorgui, dans une vidéo publiée sur sa page Facebook.
En dépit de la teneur extrême des propos tenus, Zorgui a gardé, tout au long de l'extrait, d'une durée de 7 minutes 50, un ton relativement calme. Sur la vidéo partagée en masse par les internautes tunisiens, il apparaît sirotant un café, fumant une cigarette, avant de montrer, à la fin de la séquence, une bouteille remplie d'essence.
«Je ne vais attendre ni janvier, ni février, ni mars. A quoi bon? Il ne me reste que 20 minutes, après quoi je vais m'asperger d'essence et m'immoler. Pourvu que l'Etat daigne penser à Kasserine», a-t-il notamment averti, avant de mettre ses menaces à exécution.
Sur une autre vidéo circulant sur internet, un groupe d'individus entourait le journaliste, quelques instants avant que le corps de celui-ci ne prenne feu. Mardi, une enquête judiciaire a été ouverte pour déterminer les responsabilités des personnes présentes sur la vidéo.
Dans une déclaration à la radio privée Mosaïque FM, le porte-parole du Tribunal de première instance de Kasserine, Achraf Youssefi, a évoqué un manquement présumé à l'assistance à personne en danger.
En réaction à l'appel de Zorgui, de violentes protestations ont éclaté, dans la nuit de lundi à mardi, dans le centre-ville de Kasserine. Six policiers ont été blessés, une dizaine de manifestants arrêtés, d'après des sources sécuritaires.
Alors que le calme était revenu, mardi marin, de nouvelles échauffourées ont éclaté, dans l'après-midi, après que des manifestants ont brûlé des pneus et dressé des barricades dans un quartier de la ville.
Le suicide de Zorgui a suscité un grand émoi dans l'opinion publique tunisienne, notamment parmi les journalistes. La tragédie relance le débat sur les faiblesses structurelles qui minent l'exercice de la profession, et particulièrement, le statut des journalistes.
«C'est une grève qui vient rappeler un certain nombre de revendications (sociales et institutionnelles) sur lesquelles les autorités tunisiennes se sont engagées depuis janvier 2017. Tant que ces revendications ne seront pas satisfaites, une grande partie des journalistes tunisiens —comme notre regretté confrère- seront condamnés à vivre dans la précarité», a déclaré Mehdi Jelassi, membre du bureau exécutif de la SNJT.
Le 17 décembre 2010, un marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, s'est donné la mort en s'immolant par le feu, pour protester contre la confiscation de sa marchandise par les autorités locales.
Le 14 janvier 2011, la vacance du pouvoir est officiellement constatée, ouvrant la voie à une période de transition institutionnelle qui aboutit aux élections générales de 2014.
Depuis, le pays a retrouvé le chemin de la stabilité politique et sécuritaire. Toutefois, la situation économique reste fragile, avec des indices économiques peinant à passer au vert, et des disparités régionales à se résorber.