Tunisie chic et intime

Longtemps patrie d’un tourisme de masse très balisé et encadré, la Tunisie développe un réseau de maisons d’hôte et d’hôtels de charme qui attirent une clientèle plus exigeante. Avide d’authenticité et de contact avec la culture locale.

D’accord, vue de haut, la mer paraît turquoise et le spectacle des dunes du Sahara qui s’y abîment doucement invite à l’indulgence. En découvrant les contours de l’île qui se dessinent à travers le hublot, je dois reconnaître que mes sentiments sont assez partagés. Djerba la douce, perle du golfe de Gabès réputée pour son climat rêvé, a toujours incarné à mes yeux les excès du tourisme de masse : hôtels démesurés, plages bondées, touristes confinés, personnel exploité, circuits balisés… Mais depuis quelques années, un autre tourisme commence à se développer dans toute la Tunisie, que le nouveau régime né du Printemps arabe s’emploie à stimuler. Je demande à voir.

Première (bonne) surprise : si je m’attendais à naviguer dès l’atterrissage entre les complexes hôteliers surpeuplés bouchant tout l’horizon, j’en suis pour mes frais. Guidé par mon chauffeur Mansour, je traverse en 4x4 plusieurs petites bourgades à l’atmosphère typiquement nord-africaine, où l’indolence le dispute aux couleurs pastel qui ponctuent les maisons blanches et basses. On le sait peu, mais Djerba compte tout de même près de 150.000 habitants toute l’année, précise Mansour, qui y vit dans un menzel avec ses quatre frères.

C’est l’habitat familial traditionnel sur l’île. Il s’organise autour du houch, la maison proprement dite dont les différentes chambres, chacune habitée par une partie de la famille, cernent un patio central parfois creusé d’un bassin. Le plus souvent, il possède une étable et un jardin, clôturé par un muret de pierres. Pour arrêter le sable, omniprésent sur ce morceau de terre de 500 km2 plat comme un caillou et battu par les vents, où la végétation peine à prendre racine – oliviers exceptés. Le charme de l’île doit beaucoup à cette architecture typique. À
Houmt-Souk ou à Midoun, les principaux villages organisés autour de leur marché central, les maisons sont plus serrées mais généralement bâties sur le même moule.

On y entre facilement : plusieurs abritent des maisons d’hôte ou de petits hôtels de charme, c’est la nouvelle tendance. À Marrakech ses riads, à Djerba ses dars, du mot arabe qui signifie «maison». Ceux qui accueillent les visiteurs poussent dans tout le pays et font désormais l’objet d’une réglementation légale, histoire d’éviter l’anarchie et de garantir un bon niveau de confort, d’accueil et de qualité. Le charme, lui, n’a pas besoin d’être encadré. La preuve par Dar Bibine, l’une des maisons d’hôte les plus connues et les plus anciennes du coin.

Quartiers juifs

Elle n’est pourtant pas bien vieille puisqu’officiellement née en 2009. C’est un couple belge qui a eu le coup de foudre pour cette jolie maison typiquement djerbienne nichée au cœur de l’ancien quartier juif de Hara Sghira, dans le petit village d’Erriadh. Isabelle et Gérard l’ont achetée en ruine à une famille arabe, qui l’avait acquise auprès d’un vieux rabbin. Elle en rit encore : On a été comme envoûtés. Le jour de la visite, j’ai signé un contrat en arabe dont je ne comprenais pas un mot et j’ai payé un acompte. Nous lui avons donné le surnom de ma grand-mère décédée peu de temps auparavant, que j’adorais et à qui je dois la découverte de ce merveilleux pays.

Elle a quitté son cabinet d’avocate, lui son bureau d’architecte, ils ont emménagé et transformé leur dar en petit coin de paradis, avec ses pièces voûtées, ses cours intérieures, ses terrasses sur les toits, son bassin dessiné par Gérard et ses cinq chambres décorées avec soin. Tout est d’un blanc immaculé, avec les boiseries bleues qui caractérisent l’architecture locale. Constellé d’objets design et d’art contemporain, la passion de mes hôtes. Lesquels sont devenus plus djerbiens que les Djerbiens, témoignent leurs amis tunisiens. Tellement impliqués dans le développement des hébergements de charme à travers le pays que le ministre du Tourisme a chargé Isabelle de l’aider à rédiger la nouvelle législation.

C’est avec son amie Nesreen, arrière-petite-fille de l’ancien caïd (gouverneur) de Djerba, qu’elle me fait les honneurs d’une visite intimiste des vieux quartiers. Instruite et indépendante comme beaucoup de femmes tunisiennes, cette jeune architecte peut vous parler des heures, sans complaisance, de l’évolution de la société dans son pays, de la place réelle des femmes et du retour du religieux. Pour l’heure, elle me raconte l’histoire et la sociologie locales. Une petite communauté juive subsiste, en bonne intelligence avec ses voisins musulmans. L’ombre de ce qu’elle fut par le passé.

L’âme de Djerba

Plus tôt dans la journée, je n’avais pas manqué de visiter la fameuse synagogue de La Ghriba – La Merveilleuse –, illustre dans tout le monde arabe, frappée par un attentat suicide en 2002. De vieux rabbins y psalmodient toujours la Torah à longueur de journée, dans un décor à l’orientale constellé de vitraux, de faïences et d’ex-voto en argent. C’est une autre synagogue dont Nesreen nous ouvre les portes au cœur du vieux quartier, réservée aux fidèles celle-là, pas aux touristes. Entre plusieurs mosquées dont les muezzins troublent périodiquement le silence. Les deux salles de prières baignent dans le halo bleu que renvoient les murs et colonnades de cet endroit magique. Si Djerba a une âme, c’est à Hara Sghira que je l’ai rencontrée.

L’île recèle de nombreuses autres surprises, dont ses souks à taille humaine et même des plages peu envahies par les touristes où, de retour de la pêche dans leurs barques multicolores, les pêcheurs locaux grillent le poisson sur des barbecues improvisés. Et puis ses autres chambres d’hôte, j’en ai visité beaucoup. À Dar Dhiafa, Slah et Chiara ont créé un petit paradis au cœur d’Erriadh en rassemblant cinq houchs joliment décorés. Dans un style plus intime, Éric et Halima ont ouvert Dar Zina au cœur de Houmt-Souk et proposent deux suites aménagées avec goût dans le plus pur style traditionnel.

J’y ai passé une merveilleuse soirée à déguster la cuisine typiquement locale de Halima et à refaire le monde avec ce jeune couple mixte qui vient d’avoir un bébé. Partager des expériences extraordinaires avec des gens du monde entier, c’est ma façon de me révolter, de dire non à l’ancien régime, de changer l’image de la Tunisie en lui enlevant un peu de poussière, confie Halima. À Dar Zina, je me suis immédiatement senti chez moi.

Aux portes du Sahara

Je quitte Djerba à l’aube pour m’enfoncer vers l’intérieur des terres, à l’ouest, à la rencontre du Sahara. Escale à Matmata, village troglodytique planté dans un panorama lunaire de collines dénudées, où de nombreux Berbères vivent encore dans des habitations creusées à même la terre. Une vieille dame me reçoit dans le sien, où elle vit avec toute sa famille dans un dénuement pareil à celui du paysage. Ici, le houch est une colline évidée par le haut. C’est dans une cavité semblable que Georges Lucas a installé les décors figurant la maison où a grandi Luke Skywalker dans le premier «Star Wars». Ils forment aujourd’hui le cœur d’un hôtel troglodyte qui attire les fans du monde entier. Amateurs, séquence émotion garantie.

Ensuite, c’est le désert. Ou plus exactement d’immenses étendues salées qui se succèdent sur 300 km vers la frontière algérienne. La plus connue est le Chott El-Djerid, célèbre pour ses mirages et… des scènes de «La guerre des Étoiles», encore. Bordé par plusieurs oasis, il débouche sur la grande et impressionnante palmeraie de Tozeur. L’une des plus belles de Tunisie, avec ses 350.000 palmiers qui apportent un peu de fraîcheur lorsque les thermomètres s’affolent au cœur de l’été. Mon hôte s’appelle Mondher Ben Soltane. Le père de ce Tozeurois pur jus est le receveur du fisc qui fut appelé à liquider les avoirs du dernier Bey de Tunis après la révolution bourguibienne.

Lui a bâti sur les ruines de la maison familiale un petit hôtel dans le plus pur style architectural de la ville, avec ses briques ocre cuites d’un mélange de sable et d’argile. Dar Saida Beya invite à la méditation. Pourquoi pas soufie, puisque c’est le courant religieux le plus représenté dans la région. Cette ville très ancienne, plantée sur la route des caravanes qui traversaient jadis le Sahara, est d’ailleurs connue pour le nombre de ses mosquées, précise-t-il. Sa médina est l’une des plus animées du pays. L’artisanat fleurit dans le vieux quartier d’Ouled-el-Hadef, dont les ruelles étroites et fermées aux voitures se découvrent avec ravissement. Tout comme la plus belle maison d’hôte de la ville, Dar Nejma, nichée au plus profond de la vieille ville. Une oasis au cœur de l’oasis.

Mille et une nuits

Mon court périple me conduit ensuite à Nefta, l’autre grande ville-palmeraie de la région, plantée dans une cuvette baptisée La Corbeille et lieu de villégiature préféré de l’ancien dictateur éclairé Bourguiba. Deux dars originaux offrent une vue plongeante sur ce spectacle ébouriffant. Dar Zargouni fut construit en 1976 par l’ambassadeur… de Belgique à Tunis, qui en fit sa seconde résidence. La suite Mille et une nuits en dit long sur les goûts raffinés de cet esthète aristocrate. Dar Hi est un boutique-hôtel futuriste et 100 % écologique conçu par la célèbre designer française Matali Crasset, sur un concept déjà éprouvé à Nice, mais avec des matériaux et une inspiration locaux. Comme un mirage au bord de l’oasis.

Depuis Nefta, une journée de promenade me conduit dans les dunes, sur d’autres décors mythiques de la saga «Star Wars» envahis par les sables, et jusqu’aux incontournables oasis de montagne de Chebika et Tamerza. Vue imprenable sur le désert qui s’étend à l’infini, illuminé par le soleil de fin de journée, concert de grenouilles en fond sonore. En Tunisie, le spectacle est permanent. Il suffit d’aller le chercher.

Il l’a dit

Tarek Missaoui, propriétaire d’Amphora Menzel à Djerba. Maintenant en Tunisie, on commence à faire du tourisme. Avant, on faisait surtout de l’hôtellerie. Tout était pensé pour y garder les touristes, pour éviter qu’ils aillent fouiner ailleurs.

 

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