Un village transformé en galerie de street artc

Durant près de trois mois, 150 street artistes de trente nationalités se sont emparés des murs du village d'Erriadh sur l'île de Djerba. Le Lausannois Issam Rezgui a participé à cette oeuvre collective, vernie ce samedi.

Djerbahood. Le nom claque comme la trace d'une bombe colorée sur un mur immaculé. Sur l'île tunisienne de Djerba, 150 street artistes de trente nationalités ont fait du village d'Erriadh leur quartier, transformant les murs en oeuvres d'art. Leur terrain de jeu? Le coeur de la cité, mais aussi les espaces défraichis et abandonnés qui l'entourent. Ainsi à l'entrée du village, bombes et pinceaux trainent sur le sol poussiéreux des anciens abattoirs, sur le toit desquels se dressent les lettres «The Hood» (le quartier), oeuvre de l'artiste français Rodolphe Cintorino.

Peignant, sprayant, collant, sous la chaleur écrasante, les artistes n'ont pas seulement laissé leur marque. Ils ont réalisé des fresques embellissant de vieilles bâtisses en ruines, ils ont donné à l'échoppe du coin un emblème, créé un dialogue avec des illustrations, des ornements ou des calligraphies, interpellant les habitants ou les curieux de passage. A l'origine du projet, le Franco-Tunisien Mehdi Ben Cheikh, directeur de la galerie parisienne Itinerrance, a dû convaincre les propriétaires de prêter leurs murs. D'abord réticents, toujours plus de villageois ont souhaité tatouer leurs façades. Et le lieu s'est transformé en labyrinthe artistique à ciel ouvert.

Un air de jasmin

Dans la médina, parmi les houch blancs aux boiseries bleues, le seul participant suisse au projet, le Lausannois Issam Rezgui, a obtenu une arche sur la place du marché. Sur un fond noir pétrole, il a sprayé une calligraphie dorée malaxant les lettres de Jasm.one, son nom d'artiste. «Jasm pour jasmin, j'ai choisi ce pseudo à 16 ans, je voulais prendre le contre-pied de ce qui se fait dans le milieu, s'inspirer du nom d'une fleur c'est pas vraiment courant. Et puis, ici, ça me permet de mettre un peu de Tunisie sur les murs, de me rappeler la famille au bled», raconte le street artiste de mère suisse et de père tunisien.

Pour participer à Djerbahood, réunissant la crème du street art, le trentenaire a dû donner un petit coup de pouce au destin. Les traditionnelles vacances d'été familiales en Tunisie on subi quelques ajustements, pour favoriser la rencontre avec l'équipe du projet et obtenir le graal: un mur. En une journée, Issam a peint la surface de près de quatre mètres de haut. «J'étais sur un échafaudage rouillé, il faisait 40-45 degrés, j'ai mis trois heures et demie pour étendre la dispersion, le mur s'effritait à mesure que je passais le rouleau, mais c'était une expérience incroyable, participer à ce projet m'a vraiment fait chaud au coeur.»

Adaptation à l'environnement, mais aussi à une culture, des traditions, des croyances, les artistes qui se sont relayés à Erriadh, semaine après semaine, durant près de trois mois, ont dû composer dans un univers où le street art reste encore peu répandu et où les représentations peuvent s'avérer lourdes de sens. «C'est un village typique qui réunit juifs et musulmans, il faut être attentif à ce qu'on met sur les murs, spécialement pour les portraits, les visages», relève Issam.

Les artistes n'ont pas reçu de consigne particulière, mais les projets ont été soigneusement sélectionnés par l'équipe de Djerbahood. «Je pense que chacun a agi avec bon sens et si certains ont choisi de faire passer des messages, ils l'ont fait avec subtilité, poésie ou humour», déclare l'artiste lausannois. Lui, tout en se fondant dans le décor avec une oeuvre inspirée par la calligraphie arabe, a décidé d'interpeller les passants en soulignant les contrastes. Une tache sombre au milieu des arches blanches et, sur ce fond obscur, apparaît «la peinture dorée qui interroge le rapport à la richesse, au faste.» Puis au milieu les mots «peace, justice, love», comme un mantra bienvenu à l'aube des élections.

 

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Dernière modification le samedi, 27 septembre 2014 11:24