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Par Amel Djait
Les chiffres traduisent mal la réalité. A force de matraquage, on s’y habitue et n’y prêtons presque plus vraiment attention. On a beau nous répéter que le marché touristique français est en baisse, qui s’en alarme outre mesure? Quelle est la dimension de cette baisse et signifie-t-elle que nous avons atteint un point critique ou un point de non retour? Quelle est la stratégie de relance qui est mise en place, et y en a-t-il vraiment? Pourquoi ce marché boude-t-il la Tunisie? Où vont et que font les français durant leur vacances?
Les questions tombent en cascade et les réponses sont aussi rares que ceux qui cherchent à y répondre et ont répondu présents à la table ronde récemment organisée par l’Observatoire du tourisme de Tourisme Info à l’hôtel Nahrawess à Hammamet.
S’il est incontestable que le bilan touristique 2013 enregistre moins 15% par rapport à 2010, la situation sur le marché français est de loin bien plus dramatique. En termes de chiffres, la Tunisie est à moins 22% par rapport à 2011 et à moins 43% par rapport à 2010. C'est-à-dire que la destination a perdu quelques 800.000 touristes au cours de la révolution et de la transition démocratique pour revenir aux performances de 1997, soit un bond en arrière de quelques 16 ans!
Les Français ont commencé à se désintéresser de la Tunisie avant le 14 janvier et comme d’habitude, la destination n’a su ni pu réagir, réajuster, écouter, pour offrir des produits qui s’adaptent aux demandes d’une clientèle de plus en plus férue d’innovation. Ce manque de réactivité traduit la rigidité des produits touristiques tunisiens autant que celles des mentalités de l’entrepreneuriat et de l’administration.
Qui sont les touristes français? Que veulent-ils?
Sur les 20 dernières années, la clientèle française a migré de Hammamet -qui était sa région préférée- vers Djerba. 50% de la clientèle réside dans les hôtels 2 et 3 étoiles et 42% optent pour les 4 et 5 étoiles. 50% de cette même clientèle vient dans notre pays via les Tour Opérateurs (TO), et on estime à 400.000 ceux qui viennent par d’autres moyens. En gros, plus de 90% des Français sont une clientèle d’hôtels et n’en bougent pas beaucoup durant leurs séjours. 98% d’entre eux résident dans un seul hôtel.
La Tunisie a toujours pensé que la France était un marché acquis, autrement dit «une force tranquille» et un réservoir intarissable. Or, il s’avère que non seulement les Français boudent la Tunisie mais qu’en plus ils ont pris en affection d’autres destinations comme l’Espagne, la Grèce, la Croatie, partiellement la Turquie. Ils prennent plaisir à redécouvrir leur propre pays boudant la mer de la côte d’Azur, préférant la Bretagne et s’adonnant aux plaisirs du camping et du tourisme vert.
D’autre part, pour ceux qui ont un peu plus de moyens, ils profitent des forfaits plus qu’avantageux vers des destinations exotiques et lointaines. A titre indicatif, la République Dominicaine offre des forfaits à 600 euros, alors que les forfaits vendus sur la Tunisie ont été sacrifiés sans pour autant connaître forcément un franc succès.
S’agit-il simplement d’un problème de tarifs?
Pas forcément et pas systématiquement. Pour le directeur général d’Air France Tunisie, «nous avons opéré des tarifs mini et le marché n’a pas répondu. Comment modifier et pousser l’attractivité de la Tunisie sur le marché français? L’actualité tunisienne brise-t-elle toutes les volontés?», s’interroge-t-il.
Certains parmi les professionnels partent d’un a priori discutable; celui que la Tunisie est une destination irréversible pour la France. Est-ce vraiment le cas? Ils invitent tous les intervenants tunisiens à se débarrasser du complexe de la persécution en rejetant la faute sur les médias français qui jouent l’alarmisme, l’exagération et la manipulation.
Ils estiment que le tourisme tunisien a vécu des crises, de nombreuses crises, et saura en revenir. Mais au delà de l’optimisme, le tourisme tunisien se donne-t-il les moyens de redresser la barre? Se donne-t-il les ressources pour corriger ses travers? Est-il en train de reconstruire? Avant de porter une vision, est-il seulement capable de gérer son quotidien fait de dégradations des services, de l’environnement, de l’image…?
Si les uns expliquent ce désamour par l’état général du pays et du tourisme tunisien, d’autres professionnels expliquent que l’industrie touristique française est en crise et en pleine mutation.
Les Tours opérateurs français vont très mal. Pour ne donner qu’un exemple, citons le voyagiste FRAM qui a perdu l’année dernière 35 millions d’euros sur tous ces segments. Tahar Saihi, représentant Tunisie du voyagiste en question, avoue: «Fram a chuté de façon vertigineuse. Le volume a baissé, les engagements baissen,t les TO exploitant des hôtels pour leur compte accusent des pertes énormes… Du côté des clients, et même si on casse les prix comme un séjour de 1.260 euros proposé à 500 euros, les gens répondent “on ira quand ça ira mieux“ ou encore “on ne veut pas risquer notre vie“».
Le voyagiste explique aussi que les alertes du ministère français des Affaires étrangères sur la Tunisie sont alarmantes. Sur la carte qu’il montre à l’assistance, il précise que mises à part les zones touristiques côtières, tout le reste est soit jaune ou rouge. Cela tue d’office les circuits et les excursions. Autant dire que le segment des agences de voyage qui en vivent et qui voient leur activité se réduire en peau de chagrin.
Sur le site du Quai d’Orsay, on lit: «Dans le contexte sécuritaire actuel, les ressortissants français sont appelés à une vigilance renforcée. Les consignes de prudence sont rappelées et tout particulièrement celles visant à éviter tout rassemblement et à se tenir éloigné des bâtiments sensibles et des axes des manifestations. L’état actuel de la situation n’empêche pas le maintien de projets de voyage en Tunisie, sous réserve du respect des règles de sécurité qui précèdent.
Par ailleurs, dans le contexte régional actuel, les ressortissants français sont appelés à une vigilance particulière. Tout déplacement dans le Grand Sud saharien et dans la zone frontalière tuniso-algérienne du centre-ouest, est à proscrire».
Cela se fait ressentir directement sur les comportements des clients. Si 60% des clients français fréquentent la destination Tunisie en haute saison, le marché fournissait traditionnellement entre 25 et 30% de clients d’hiver et arrière-saison. Ils sont en fait des clients individuels, des groupes pour le MICE, des amateurs de thalassothérapie, etc. Une clientèle à fort pouvoir d’achat qui a quasiment disparu!
Est-ce la confiance ou le charme qui sont rompus?
Confiance, le mot est lâché! Pourquoi le crédit s’est-il érodé? La politique et la situation délicate que vit la transition démocratique en sont-elles la cause ou est-ce l’arbre qui cache la forêt?
Les médias français ont épinglé les salafistes et dénoncé le laisser faire des autorités suite à l’invasion de la montre, à l’agression du député PS à Bizerte et relayé de près différentes affaires des libertés individuelles et d’expression comme l’affaire «Femen» ou de la jeune fille violée par les policiers…
Ils épinglent depuis des années la qualité des prestations hôtelières tunisienne en passant de façon récurrente et cyclique par des reportages dénonçant la qualité approximative des établissements tunisiens.
Affif Kchouk, directeur de la publication Tourisme Info, conclut qu’“il ne sert à rien d’accuser les medias étrangers ou nationaux. L’affaire des attenants politiques et de l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique autant que la récente affaire de l’hôtel Dar Djerba prouvent que les médias n’inventent rien. Leur boulot est de dénoncer. Il faut cesser d’accuser autrui et assumer l’image que revoie au tourisme sa triste réalité!»
Bloqué dans les années 80
Ferif Fetni, directeur France pour la compagnie aérienne privée tunisienne Shyphax Airlines, du haut de ses années à la tête du Bureau de Paris, et ex-directeur marketing de l’ONTT, explique que l’ensemble des intervenants sur le tourisme tunisien est resté bloqué dans des schémas complètement «has been»: Comment voulez-vous sauver un marché quand on reste figé dans un marketing obsolète? Les partenariats de la publicité conjointe des années 70/80 sont dépassés. Comment voulez-vous des résultats quand on dispose de 65 millions de dinars que l’on dispatche de la même façon que dans les années 80? Comment voulez-vous être performant quand vous avez un plan media établi du 1er janvier et qui reste figé jusqu’au 31 décembre de l’année?»
Au terme d’une riche matinée de constats et d’interrogations, il ressort aussi que la mobilisation des professionnels fait défaut. Le tourisme tunisien a certes connu des crises, mais même s’il a relativement pu les contenir, il n’a jamais pu et su renaître de ses cendres. Dans le passé, le secteur n’a pas su affronter ses pertes sur le marché britannique suite à sa restructuration, ni sur le marché allemand, bien qu’il enregistre une légère reprise depuis les événements du 14 janvier 2011.
Mort des Tours Opérateurs spécialisés sur la Tunisie
Ce qui est sûr, c’est qu’à ce jour, la clientèle qui nous vient de France vient principalement de l’île de France et que le potentiel des régions reste énorme et accessible. Le taux de fidélité à la destination se trouve aussi chez eux. Donc de la marge il y en et beaucoup, il faut s’en donner les moyens.
Par contre, ce qui est très alarmant, c’est la mort des Tours Opérateurs tunisiens installés en France. Le seuil du non retour est franchi dans l’indifférence générale puisque l’on assiste à la disparition de TO spécialisés comme «Reshot» ou «Lumières de Tunisie», alors que «Gamma Travel», «Haut de Gamme» ou «Amplitude International» sont en grandes difficultés.
Les autres TO ne s’engagent plus dans le charter et ne prennent même plus de risques avec un marché de 60 millions d’habitants sur une destination qui n’est plus dans l’air du temps, qui ne sait plus charmer et ne peut visiblement plus convaincre.
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