Méditerranée : quand tourisme et terrorisme sont aux antipodes

By Rédaction en ligne août 26, 2016 1044

Pourtant loin d’être terminée, 2016 s’annonce incontestablement comme une année émaillée d’instabilités politiques, d’attaques terroristes et d’une crise migratoire sur fond de difficultés économiques. L’Est et le Sud méditerranéen deviennent progressivement le théâtre de violences et apparaissent principalement dans l’actualité pour leur dimension conflictuelle. Le tourisme méditerranéen, tributaire du contexte international, semble alors depuis quelques années plombé par ces tensions géopolitiques.

La cascade d’événements tragiques au cours de ces derniers mois, semant terreur et insécurité, a considérablement modifié le paysage touristique, redistribuant ainsi les cartes des destinations touristiques.

La mer Méditerranée, première destination touristique du globe lors de la saison estivale, attirait en 2015, un tiers des touristes internationaux. Mais les nombreux conflits qu’elle concentre dans son bassin compromettent l’aspect sécuritaire de ses zones touristiques et ternissent leur image. Et pour certains pays comme la Tunisie, dont l’économie dépend essentiellement de l’industrie touristique, faire revenir les millions de touristes qu’elle accueillait en 2010 parait inconcevable. La Tunisie, exemple le plus probant de ces dernières années, subissait trois attentats en 2015. Les conséquences en termes de fréquentation touristique ont été immédiates. L’impact des attaques terroristes et les images troublantes relayées par les médias n’ont pas manqué d’affecter profondément l’activité touristique tunisienne et de facto son dynamisme économique.

La Tunisie, qui avait pourtant amorcé un début de transition démocratique à l’issue du Printemps arabe en 2011, s’est vue depuis persécutée par les djihadistes, rejetant ainsi le modèle d’organisation politique tunisienne. Si le système politique était bien évidemment visé lors des attaques terroristes, le tourisme n’en était pas moins la cible. Par conséquent, la sécurité des infrastructures touristiques paraît une condition sine qua non à la relance du tourisme tunisien. L’instabilité du régime politique tunisien et la porosité des frontières avec la Libye, facilitant de fait l’infiltration de djihadistes, ne permettent toujours pas d’assurer significativement les moyens sécuritaires.

Si le tourisme est un bon indicateur des tensions géopolitiques en Tunisie, il l’est également dans les autres pays méditerranéens. Pour exemple, la situation en Turquie présente de nombreuses similitudes avec celle de la Tunisie. Ses deux plus grandes villes, Istanbul et Ankara, sont depuis quelques mois plongées dans un climat de violence, frappées par des attentats à répétition, tantôt revendiqués par les autorités turques à l’organisation État islamique (EI), tantôt revendiqués par des groupes radicaux kurdes. La recrudescence d’attaques terroristes dont celle d’un triple attentat-suicide à l’aéroport international d’Atatürk, a durement affecté la fréquentation touristique de l’ancienne Constantinople ottomane. Le nombre d’arrivées touristiques a, selon les données du Ministère de la Culture et du Tourisme, accusé une chute de près de 40 % en juin dernier par rapport à juin 2015, à son plus bas niveau depuis une vingtaine d’années.


Sollicitée par Le Journal International, Fatma Avçu, jeune salariée de 21 ans à Lyon et d’origine turque, voit sa ville natale, Konya, « désertée chaque été un peu plus par les touristes étrangers ». Les seuls touristes de Konya « viennent principalement d’autres villes turques pour passer les vacances avec leur famille ». Pour Fatma, le tourisme domestique semble avoir pris le pas sur le tourisme international à Konya.

Mais depuis le 15 juillet, la dégradation de la situation sécuritaire est désormais venue se coupler à une fragilité politique semée par un coup d’État manqué par une faction de l’armée, entraînant la fermeture temporaire de l’aéroport international d’Istanbul et quelques 240 civils tués. La Turquie, qui semblait pourtant être un bastion de sécurité dans une région troublée, est progressivement boudée par les touristes, menaçant son devenir économique, comme l’illustre ce récent reportage de Radio France Internationale (RFI).

D’autres pays arabes, pourtant épargnés de la menace terroriste, pâtissent quant à eux de leur situation géographique, à l’instar du Maroc qui figure pourtant en « vigilance normale » sur la carte des conseils aux voyageurs. Le tourisme du royaume chérifien a connu en 2015 une légère baisse de 1 % par rapport à 2014 selon les chiffres du ministère du Tourisme marocain.


Pour Jean-François Rial, PDG de Voyageurs Du Monde, interrogé par Radio Voyageurs en juin dernier, « ce n’est pas la même chose de voyager en Tunisie, à Oman ou au Maroc, qu’en Syrie ou en Afghanistan […] il y a un amalgame général fait, qui est absurde ». Par effet domino, les pays de culture musulmane sont associés, par le touriste occidental type, à l’insécurité et au terrorisme.

Pour Soumaya, étudiante française en relations internationales, en vacances au Maroc, « les personnes qui viennent en vacances ici réalisent qu’il n’y a pas de problème de sécurité. Les événements qui se sont produits dans les pays voisins comme la Tunisie génèrent une réaction de méfiance vis-vis du Maghreb. Le risque zéro n’existe pourtant nulle part ».

On assiste donc à une refondation de l’économie touristique méditerranéenne où les flux touristiques des pays de l’Est et du Sud méditerranéen se réorientent vers de nouvelles destinations. Et c’est à l’Europe du Sud que profite cette mutation du panorama touristique dont il faut évoquer le succès notoire de la péninsule Ibérique où Lisbonne, Barcelone et les îles Baléares sont prises d’assaut. Selon les derniers chiffres du Syndicat national des agents de voyages (SNAV), on observe une hausse de 8 % des réservations vers l’Espagne en juin 2016 par rapport à juin 2015, tout comme le Portugal qui affiche une augmentation de 12 % sur la même période. La Côte d’Azur et les îles grecques, incontournables destinations de report dans le bassin méditerranéen, rencontrent quant à elles une saison légèrement plus difficile suite à l’attaque terroriste de Nice et à la crise migratoire.

En somme, le tourisme figure comme un secteur fragile, sensible aux fluctuations géopolitiques, et d’autant plus dangereux quand il incarne la principale activité d’une économie. À l’heure où les questions de sûreté prennent un relief particulier et où les frontières ont tendance à se refermer, le bassin méditerranéen figure comme un révélateur de la fracture Nord-Sud. Les conflits des pays de la rive sud de la Méditerranée entravent le développement harmonieux du secteur touristique de la région, dont le potentiel est pourtant énorme, et semblent de plus en plus profiter aux économies de la rive nord méditerranéenne.

 

 

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