Débat- Littérature/Cinéma: Pour quand la réconciliation ?

La ville de Gabès a abrité fin décembre dernier un colloque sur le thème De la nouvelle au scénario pour en arriver au constat que cette entreprise est quasiment impossible. Mais c’est aussi le cas du roman tunisien très rarement porté à l’écran. Est-ce une fatalité ?

Depuis 48 ans, soit 1966, date de sortie du tout premier film tunisien (« L’aube » d’Omar Khlifi), le cinéma tunisien a régulièrement tourné le dos à la littérature tunisienne (conte, roman, nouvelle…).

Deux raisons sont régulièrement invoquées pour justifier cette indifférence : d’abord qu’il n’y a rien à puiser dans le roman tunisien, ensuite parce que l’écrit littéraire ne peut se plier aux exigences de l’écrit technique du scénario. A dire vrai, ces deux raisons ne convainquent personne. Un : parce que quelques romans, très rares en effet, ont pu être portés à l’écran, ce qui veut dire que lorsque la volonté y est, tout devient possible et réalisable. Deux : parce que la richesse du roman tunisien (particulièrement en langue arabe) dépasse de loin celle – si elle existe – de notre cinéma. Par conséquent, les véritables raisons, il faudrait les chercher ailleurs, dans le non-dit, le non-avoué.
 

Il est indéniable que le cinéma tunisien a produit de très bons films (probablement une dizaine, une quinzaine tout au plus), et il demeure certain donc qu’il a souvent produit du n’importe quoi. Cet entêtement à continuer de produire plus de mauvaises copies que de bonnes nous invite à regarder de plus près la situation du cinéma tunisien.
 

C’est justement à l’aube des années 1960 que de jeunes bacheliers avaient choisi de faire carrière dans le 7ème art. Ils avaient été, qui en France, qui en Roumanie, qui en Italie, qui en Russie, qui en Bulgarie, etc. Une poignée d’années plus tard, ils sont revenus avec des diplômes de réalisateurs. C’est grâce à eux, et principalement au ministère de la Culture, que nous avons, depuis, un cinéma tunisien. Ce cinéma, en l’absence, jusqu’à aujourd’hui, d’une industrie cinématographique, est dit ‘‘cinéma d’auteur’’, c’est-à-dire que le réalisateur est lui-même scénariste et auteur de la fiction. Ce n’est pas grave. C’est même très bien que des réalisateurs tunisiens aient fait et jeté les bases du cinéma tunisien. Nous ne les remercions jamais assez pour cela.
 

Mais le problème, c’est qu’ils ont fait du cinéma tunisien une chasse gardée, leur propre pré carré, une espèce de propriété privée, soutenus en cela par le même ministère de la Culture. C’est tout de même bizarre qu’en un demi-siècle nous ne rencontrions que quasiment les mêmes noms. En clair, la subvention du ministère est un gâteau que se partagent, bon an mal an, ou ceux-ci ou ceux-là, mais toujours les mêmes. On va dire tant mieux si toutes leurs œuvres sont réussies. Mais ce n’est pas hélas le cas. C’est même une fois sur dix qu’un film tunisien a fait l’unanimité autour de lui.

Grand producteur tunisien, le regretté Ahmed Baha Eddine Attia nous disait tout au début des années 1990 : « Nous aurons un bon cinéma tunisien dès que nos réalisateurs se seront débarrassés de leurs problèmes personnels, qu’ils auront réglé les problèmes de leur enfance, de leur jeunesse… ». Soit. Mais 24 ans, depuis, se sont écoulés sans que notre cinéma ait réalisé de vrais exploits. De l’auberge du n’importe quoi et du bavardage on n’est pas sortis.
 

Cet échec partiel du cinéma tunisien est à imputer en tout premier lieu au ministère de la Culture, et ce pour trois raisons. Un : il continue d’accorder la subvention aux mêmes noms au seul prétexte qu’ils ont déjà fait leurs preuves ; deux : il n’a pas le courage de dire « nous ne subventionnons cette année que deux projets seulement en raison de la piètre qualité de l’ensemble des projets reçus » ; trois : il se trouve toujours au sein de la commission de lecture (ministère) deux cinéastes appelés à émettre un avis. Par conséquent, entre cinéastes, le jeu devient ainsi : aide-moi cette année, je te soutiendrai l’année prochaine.
 

Petite remarque de passage : les cinéastes eux-mêmes déclarent tout le temps qu’il n’y a pas de véritables scénaristes en Tunisie, d’ailleurs ils ne reconnaissent qu’un seul en la personne de Nouri Bouzid.
 

Et alors ?... Absence de bons films d’une part, et absence de bons scénaristes de l’autre. Que faire ? Continuer indéfiniment avec le bavardage inepte et stérile ? C’est ça ?...
 

Il est fort temps à notre avis de raisonner avec des esprits matures : il n’est pas normal de continuer à jeter l’argent du contribuable par la fenêtre ; est arrivé le moment de mettre à la retraite ces vétérans du cinéma tunisien qui, manifestement, n’ont plus rien à dire ; c’est le moment de passer le flambeau aux jeunes, de les laisser s’exprimer à leur tour : 50 ans avec les mêmes noms, c’est le ras-le-bol ; et qu’on en finisse avec cette allégation boiteuse selon laquelle le roman tunisien n’inspire rien : il est de très loin plus riche et savoureux que ce cinéma qui ne nous apporte rien de nouveau et d’exquis.
 

Ce n’est pas une honte de quitter la scène par la grande porte tout en laissant derrière soi une belle empreinte, la honte serait de profiter plus de trente ans de la subvention publique sans rien donner, ou très peu, en contrepartie.

Kacem J.


 

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