L'acidité de l'eau déboussole les poissons

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

À proximité des volcans, les eaux chargées en CO2 préfigurent l'état des océans à la fin du siècle.

Des poissons déboussolés qui se jettent dans la gueule de leur prédateur: c'est ce que des scientifiques ont constaté sur des récifs coralliens au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. La raison? Des eaux ayant une acidité particulièrement élevée, du fait de la proximité de volcans et de fuites de dioxyde de carbone. Le CO2 a pour effet de faire baisser le pH de l'eau (plus le pH est bas, plus l'eau s'acidifie).
 

Normalement, le pH des océans se situe autour de 8,14. Dans cette zone volcanique, il tombe à une moyenne de 7,8, valeur attendue ailleurs en 2100. «Les poissons évitent en général l'odeur d'un prédateur, ce qui est logique», note le Pr Philip Munday, de l'université australienne James Cook, et principal auteur de ces travaux publiés dans la revue Nature Climate Change. Mais dans ces eaux acides «ils commencent à être attirés par cette odeur, ce qui est incroyable», ajoute-t-il.
 

«Le CO2 n'a pas d'effet sur la physiologie des poissons, qui peuvent vivre dans une eau dont le pH est faible, explique Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au Laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer (CNRS/UPMC). En revanche, cela modifie leur leur leur comportement en interférant avec leur système sensoriel.» Les poissons se repèrent beaucoup à l'odorat: c'est ainsi qu'ils fuient les prédateurs en raison de l'odeur dégagée lorsqu'ils se sont attaqués à leurs congénères. C'est également par l'odorat qu'ils retrouvent leur habitat… «Le CO2 n'a aucune caractéristique olfactive mais il agit de telle façon que les poissons ne sont plus capables de détecter une odeur comme étant celle d'un prédateur», ajoute Jean-Pierre Gattuso. Ils seraient même attirés dans la gueule de leurs ennemis. Et, selon l'étude, les poissons carnivores seraient plus touchés que les herbivores.
 

Flux de poissons
 

Curieusement, il semble que les poissons n'ont jamais réussi à s'adapter à cet environnement volcanique qui chamboule leurs sens. Mais comment expliquer alors qu'un nombre toujours aussi important d'espèces continue d'évoluer dans ces récifs? «Ces zones n'étant pas isolées, il y a un flux constant de poissons qui circulent», précise le scientifique. Par ailleurs, les travaux des chercheurs ne permettent pas de savoir quel est le temps nécessaire pour que le CO2 agisse sur les poissons.
 

L'impact du CO2 sur les poissons n'est pas une nouvelle découverte pour les chercheurs, qui avaient déjà mis en évidence le phénomène. Mais il s'agissait jusqu'alors de travaux de laboratoire dont on peut toujours craindre qu'ils présentent un biais méthodologique. L'intérêt de cette recherche est qu'elle les confirme grâce à une observation menée dans le milieu naturel. Les travaux menés près de l'île volcanique d'Ischia, en Italie, avaient déjà montré auparavant que des invertébrés qui vivent dans une coquille sont incapables de vivre dans ce type d'eau acide qui s'attaque au calcaire.
 

Cela ouvre la porte vers des perspectives peu réjouissantes. En moyenne, 26 % du CO2 émis dans l'atmosphère sont absorbés par les océans. Or la quantité de CO2 émise ne cesse de s'accroître. Le scénario retenu par la plupart des scientifiques conduit à une diminution du pH, d'ici la fin du siècle, de 0,3.
 

Si a priori ce chiffre semble faible, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une grandeur logarithmique, soit une acidité multipliée par deux. Et surtout, cela conduirait à ce que l'exception des zones volcaniques devienne la généralité. «Au moins maintenant pouvons-nous nous préparer à cette échéance possible», conclut Danielle Dixson, chercheur à l'institut technologique de Georgia, à Atlanta, qui a également participé à la recherche en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
 

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