Lorin Maazel, la mort d'un maestro

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Le célèbre chef d'orchestre Lorin Maazel est mort à l'âge de 84 ans dimanche en Virginie aux États-Unis. Celui que l'on surnommait «Little Lorin» était un virtuose du violon et avait, disait-on, la technique de baguette la plus virtuose et l'oreille la plus infaillible de tout le circuit.

On a coutume de dire que, pour un chef d'orchestre, la maturation est beaucoup plus lente que pour un instrumentiste. Lorin Maazel, qui vient de mourir d'une pneumonie à l'âge de 84 ans, est le plus éclatant des contre-exemples à cette règle: celui que l'on surnommait «Little Lorin» était déjà un virtuose du violon lorsqu'il dirigea un orchestre professionnel pour la première fois à l'âge de… 9 ans, et il en avait 11 lorsque Toscanini l'invita à prendre la baguette à New York, en culotte courte.
 

Phénomène de la nature, ce fils de Juifs américains d'origine russe, né à Neuilly-sur-Seine parce que son père était venu prendre des cours de chant en France, fut l'un de ces surdoués à qui rien ne résiste. Déjà demandé par tous les orchestres, il trouva le temps d'étudier les mathématiques, la philosophie et les langues vivantes, écrivait des critiques musicales à 8 ans et un roman à 23… Ces dons insolents, on les retrouvait dans sa direction même: les musiciens d'orchestre du monde entier vous le diront, Maazel avait la technique de baguette la plus virtuose et l'oreille la plus infaillible de tout le circuit. Sa battue était si maîtrisée qu'il n'avait pas besoin de répéter longtemps: il suffisait que les musiciens suivent sa baguette le soir du concert.
 

Une virtuosité souvent éblouissante
 

Et dans un tutti tonitruant de 120 musiciens, il savait immédiatement déceler si le troisième cor avait joué un si bémol au lieu d'un si bécarre. Cette technique moderne de direction conférait à ses exécutions une perfection formelle et une virtuosité souvent éblouissante, mais il lui arrivait malheureusement de s'y fier un peu trop et de s'en tenir justement à des exécutions certes d'un brio spectaculaire et d'une précision chirurgicale, mais parfois au détriment de la profondeur et de l'émotion: ces jours-là, on avait l'impression qu'il se grisait de sa propre dextérité et que la machine tournait à vide, au détriment du contenu. Mais quand il était inspiré, il pouvait se révéler un véritable magicien des couleurs orchestrales, en particulier dans la musique française de Ravel et Debussy qu'il traitait en véritable peintre.
 

Il dirigera 408 fois le Philharmonique de Vienne.
 

On le connaissait bien à Paris où il avait été très lié à l'Orchestre National de France, aux destinées duquel il avait présidé dans les années 70 et 80, union au sommet jusqu'à une rupture malheureusement définitive: il faut dire qu'il avait son caractère… Pendant cette période, il était devenu l'un des acteurs principaux de la vie musicale parisienne, donnant le 25 mars 1977 une 9e de Beethoven diffusée en direct à 20h30 par TF1, alors première chaîne de télévision publique. Il collectionna les postes les plus prestigieux, soulignant toujours qu'il n'avait jamais postulé mais qu'on était toujours venu le chercher: la Radio et l'Opéra de Berlin, le Philharmonia, Cleveland, Pittsburgh, l'Opéra de Vienne, la Radio Bavaroise, le New York Philharmonic, l'Opéra de Valence, le Philharmonique de Munich furent ses ports d'attache, ne l'empêchant pas d'être un des chefs invités les plus demandés (et les plus chers…) au monde.
 

S'il fut mortifié de ne pas être choisi par le Philharmonique de Berlin pour la succession de Karajan (il avait déjà convoqué les journalistes pour remercier l'orchestre…), c'est avec le Philharmonique de Vienne qu'il établit le lien le plus durable: il le dirigera 408 fois en 50 ans, dont 115 à Vienne, 108 à Salzbourg et 187 en tournée, sans compter 68 apparitions dans la fosse de l'Opéra de Vienne, et 11 fois le prestigieux Concert du nouvel an. Ces dernières années, il s'était consacré de manière accrue à la composition, écrivant notamment un opéra d'après le 1984 de George Orwell, créé au Covent Garden de Londres en 2005 dans une mise en scène spectaculaire de Robert Lepage.
 

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