H.k & Les Déserteurs : Des saveurs de chaâbi

Touwensa. Tabarka Jazz & Music Festival 2015 (Mokhtar TRIKI)

Bertrand Dicale a écrit à propos de ce groupe qui jouera à la Basilique de Tabarka et pour la première fois depuis sa création et à l’occasion de cette nouvelle édition de Tabarka Jazz & Music Festival. La soirée du vendredi 28 août 2015 s’annonce chaude et les mélomanes seront chavirés sans aucun doute avec Kaddour Hadadi et les Déserteurs.

« Soudain, la route de Vesoul dévale les pentes de la Casbah. Elle n’est plus enivrée d’accordéon et si ce n’est plus Marcel qui chauffe, les cordes de la mandole font tourner la mélodie avec la même folie. La valse musette de Brel s’est faite chaâbi comme si elle n’attendait que cela depuis toujours.
 

Elle n’est pas la seule. Sous le ciel de Paris et Dès que le vent soufflera ont pris la même route, de même que le Toulouse de Claude Nougaro, le très cajun Travailler c’est trop dur ou l’immense Padam padam que créa Édith Piaf. Des chansons si françaises, si enracinées, si habituelles à notre paysage musical de toujours ? « Toutes les grandes histoires de révolution ou de changement commencent par un acte de désertion. »
 

Ce n’est pas pour rien que ce nouveau projet s’appelle HK et les Déserteurs : Kaddour Hadadi a déserté à la fois les usages traditionnels de la chanson et les attaches exclusivement méditerranéennes du chaâbi. Il a fait ce que lui dictait sa conscience et même tout simplement son identité de Français né à Roubaix de parents algériens. Les sous-officiers de la pureté culturelle vont cracher leur bile, mais HK et ses Déserteurs font danser Les Passantes de Georges Brassens ou L’Affiche rouge de Léo Ferré.
 

Ce disque est la plus belle désertion depuis longtemps : une quinzaine d’immenses classiques prennent la tangente ; Boris Vian, Jean Ferrat, Renaud, Maxime Le Forestier ou Serge Gainsbourg s’évadent dans le chaâbi comme s’ils avaient toujours vécu là-bas.
 

Ou peut-être pas là-bas, d’ailleurs... Pour HK, le chaâbi est indissociablement liée à son enfance roubaisienne. Le dimanche, toute la famille part à la plage de Bredene, près d’Ostende.

Sur le chemin du retour, dans la R20 où tout le monde somnole après une journée au grand air, son père met sa musique – chaâbi et chansons kabyles. « Alors, quand j’entends Le Plat pays et ses descriptions de mer du Nord, je pense à cette ambiance. Pour moi, cette chanson a des saveurs de chaâbi. »
 

Il a grandi avec le reggae, les oldies soul et le rap de ses grands frères et sœurs. « J’ai eu une révélation en voyant Jacques Brel chanter Amsterdam à la télévision. La force, la puissance, le visage en sueur. Je reste scotché. Je comprendrai plus tard que c’est le trait particulier des génies de vous embarquer malgré toutes les frontières, même s’ils n’appartiennent pas du tout à votre univers. » Est-ce tout à fait un hasard, alors, si Jacques Brel est le seul artiste dont Les Déserteurs ont enregistré trois chansons ? Il était là au début…
 

En 2012, le Grand Bleu, salle lilloise, demande une création à HK. La première idée lui vient de La Chanson des vieux amants de Jacques Brel : « Je faisais le bœuf un soir avec Meddhy Ziouche, tard un soir, et il a trouvé immédiatement des commentaires de la mélodie à la mandole. » Alors HK rassemble des musiciens qui, comme lui, ont la double culture du chaâbi et de la chanson française. Il fait appel à deux figures emblématiques, P’tit Moh, le mandoliste de Gnawa Diffusion, et Rabah Khalfa, notamment joueur de derbouka pour Souad Massi. Il y a évidemment ses vieux complices Meddhy Ziouche (mandole et clavier des Saltimbanks) et Hacène Khelifa (violon de MAP) puis Amar Chaoui, percussionniste de Gnawa Diffusion, et Mehdi Dalil, tout jeune et très doué guitariste. « Dès la première répétition, trois-quatre et ça marche aussitôt. »
 

Les Déserteurs enrôlent des chansons par dizaines, découvrant des correspondances secrètes entre le chaâbi et des valses faubouriennes, entre Toulouse et le Maghreb (ah, leur version de l’extraordinaire Demain demain des Fabulous Trobadors !), entre la poésie des maîtres des années 50 et le rythme de la derbouka.
 

Subversif ? Évidemment, tant ce plaisir est éclatant, tant cette appropriation métisse est naturelle. Mais il en est sans doute de ces Déserteurs comme de ce qui est arrivé au Déserteur de Vian : d’abord une chanson qui prend les conformismes à rebrousse-poil, puis qui devient une évidence pour les générations à venir. »

 

 

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