Colonne vertébrale touchée : pourquoi chaque heure compte

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Lors des accidents sur la voie publique, la recherche systématique des traumatismes de la moelle épinière doit être une priorité pour une prise en charge dans les 3 à 6 heures.

La colonne vertébrale est composée d'os creux, les vertèbres, où passe la moelle épinière qui transmet l'influx nerveux du cerveau aux membres et aux différents organes du corps. Les traumatismes de la colonne vertébrale sont fréquents et heureusement ne se compliquent que dans peu de cas de troubles neurologiques. Les troubles neurologiques sont la conséquence d'un accident qui va transformer toute une vie. Les quatre membres (tétraplégie) ou les membres inférieurs (paraplégie) peuvent être paralysés. Les fractures au-dessus de la cinquième vertèbre cervicale peuvent entraîner des troubles ventilatoires par atteinte du nerf phrénique et entraîner la mort par asphyxie. Tous les niveaux fracturés de la tête au bassin peuvent se compliquer de troubles sphinctériens et sexuels.
 

Lors de la fracture, la moelle épinière peut être comprimée par un fragment osseux ou par le déplacement de la colonne rendue instable par le traumatisme. La chute de la tension sanguine participe à l'aggravation du phénomène qui aboutit à une ischémie (privation de sang comme dans l'infarctus) et à une nécrose (mort) de la structure nerveuse. À ce moment-là, il n'y a plus de récupération possible. Il faut donc faire vite, très vite pour ne pas en arriver là. Il faut aussi faire bien pour ne pas aggraver les choses. Après avoir constaté un traumatisme de la colonne vertébrale avec troubles neurologiques, il faut: faire bien dans la prise en charge du blessé en mobilisant sa colonne en bloc et en l'immobilisant pendant le transport (collier-minerve, matelas coquille) ; s'assurer d'une bonne tension sanguine (perfusion) et d'une ventilation efficace (réanimation) ; faire vite: adresser le blessé au centre spécialisé le plus proche où le spécialiste de la colonne vertébrale pourra mettre en route le traitement adapté le plus vite possible ; faire le diagnostic par un examen médical qui confirme l'atteinte neurologique avec un scanner qui montre la fracture et ses répercussions sur le canal médullaire. Puis l'opérer immédiatement après le diagnostic.
 

Pari pascalien.
 

Une course contre la montre est engagée car de tous les facteurs pronostiques étudiés, le facteur temps est le plus significatif: intervenir chirurgicalement avant la 6e heure est optimal. La chirurgie permet de libérer la moelle de toute compression, de réduire la déformation de la colonne vertébrale et de la fixer. Cette fixation par des vis et des tiges évitera les micromouvements responsables d'agressions répétées entretenant le processus destructeur engendré par le traumatisme. En matière de prise en charge chirurgicale, il faut faire le pari de Pascal. Dans celui-ci il est question de parier sur l'existence de Dieu: croire en lui apporte la vie éternelle s'il existe, et ne nuit pas s'il n'existe pas. Ce pari doit éviter de brûler en enfer. Pour la complication neurologique, il en est de même: si la récupération est possible, opérer vite a tout son sens. Si la récupération n'est pas possible (ce que personne ne sait), il n'y aura aucun regret à faire tout de suite ce que l'on aurait fait plus tard. Chez le polytraumatisé, il convient évidemment d'opérer d'abord les lésions vitales. L'arrêt d'une hémorragie et le rétablissement d'une circulation sanguine efficace contribuent à protéger la moelle de son ennemi, l'ischémie. Ce cas de figure est fréquent chez le jeune où le traumatisme vertébral est souvent en rapport avec un accident à haute énergie cinétique (moto, voiture, sport extrême, suicide…).
 

Les fractures du rachis en général, les fractures compliquées de troubles neurologiques en particulier, ne sont pas encore toujours et partout prises en charge par des équipes spécialisées rompues à cette chirurgie. Il faut plaider pour le fléchage du parcours de ses traumatisés de la moelle. Il est important de faire vite et bien tout de suite car après il est trop tard.
 

Il est important aujourd'hui de faire passer le message: toute complication neurologique après fracture de la colonne vertébrale peut ne pas récupérer ; mais si la prise en charge est rapide et efficace, certaines le pourront. Aucun regret ne ternira cette course contre la montre où il n'y a pas de seconde chance. Une organisation nationale avec un Samu sur le terrain qui dirige ces blessés vers un centre spécialisé par région disposant 24 heures/24 d'une équipe chirurgicale compétente prête à intervenir serait l'idéal. L'Académie de médecine en avait déjà fait recommandation en 2005.
 

Le professeur Jean-Paul Steib est professeur des Universités, praticien hospitalier, chef des services des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
 

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Dernière modification le jeudi, 31 juillet 2014 12:22