Le marketing à la peine sur les « grandes tailles »

By touwensa.net / agences novembre 25, 2014 338

Si les mensurations ont évolué, les marques assument mal leurs lignes destinées aux femmes rondes.

« Fat girl costumes », tel était le lien sur lequel il fallait cliquer pour découvrir les costumes d’Halloween « grandes tailles » du géant de la distribution américaine, Walmart. La Toile s’est déchaînée, à juste titre, même si la controverse semblait découler d’une « blague » en interne. Le faux pas a eu le mérite de rouvrir le débat sur ce qu’on appelle, dans le prêt-à-porter, et en copiant encore les Anglo-saxons, les « plus size ».
 

La mode met dans cette catégorie les femmes portant des tailles supérieures au 42 ou 44 et ne semble pas forcément vouloir s’en occuper. Pourtant, selon le cabinet d’études américain NPD Group, le marché du « plus size » représente 19,4 milliards de dollars (15,62 milliards d’euros), soit 18 % du prêt-à-porter féminin, avec une croissance, en 2013, de 5 %.

Beaucoup d’enseignes ont tout de même une véritable offre (H&M, Uniqlo, Forever 21, Old Navy, J.Crew, etc) mais peu la mettent en avant. J.Crew a un encart spécial sur son site mais les vêtements sont présentés sur des mannequins taille 34. Uniqlo a aussi sa (très bien cachée) section « Extended Sizes », mais aucune photo de vêtements portés. Seuls Forever 21 et H&M, avec leur game spéciale « + » font des efforts en ligne. Même si, sur le site de la chaîne suédoise, la collection « grande taille » est placée entre les catégories « cosmétiques » et « tenues maternité » ! Au moins, les visuels sont bien réalisés et les femmes peuvent voir à quoi le vêtement ressemble une fois porté, détail important lorsqu’on achète sur Internet.

 

« Rejet symbolique »

Dans les magasins, c’est une autre histoire. Les vêtements grandes tailles sont souvent ostracisés. « Rez-de-chaussée : mode Femme. Sous-sol : grandes tailles ». Et quand il n’y a pas de ligne spéciale, il est difficile d’expliquer aux clientes qu’une chemise blanche allant du XS au L est au rez-de-chaussée, alors que le même produit dans d’autres tailles est au dernier étage ou au sous-sol… L’objectif marketing est édifiant. « Les marques établies ont tendance à chasser les “gros” et les “grosses” de leurs magasins de façon subreptice, explique Benoît Heilbrunn, professeur à l’Ecole supérieure de commerce de Paris, à l’Institut français de la mode et au Celsa. Pas de XL et surtout pas de XXL, l’idée est d’opposer un rejet symbolique aux personnes qui pourraient entacher l’image du client ou de la cliente idéale de ces marques. »

Aux Etats-Unis, les polémiques sont nombreuses. Mike Jeffries, le patron d’Abercrombie & Fitch avait publiquement déclaré qu’il n’avait aucune envie d’habiller des gens portant des tailles supérieures au L. Chip Wilson, ancien patron de la marque de sport Lululemon, avait avoué que certains de ses produits ne fonctionnaient pas sur le corps de certaines femmes. A côté de ça, ponctuellement, un mannequin « grande taille » sort de l’ombre par la grâce d’un catalogue ou d’un calendrier (comme Candice Huffine dans le Pirelli 2015), d’une campagne de publicité ou d’une couverture, les magazines américains ayant fait des « Size Issues » des marronniers dignes des numéros spéciaux consacrés… aux régimes.

L’intégration naturelle des vêtements « grandes tailles » au reste des collections est encore contestée par certaines marques qui expliquent que les lignes sont séparées car le travail de conception des vêtements n’est pas le même. Sur le fond, l’argument est valable, mais, dans la forme, l’offre est créativement si pauvre que cela sonne comme une mauvaise excuse. Quelques efforts pour intégrer organiquement modèles et/ou produits « plus size » sont quand même à souligner. En avril, H&M a présenté une campagne de publicité pour ses maillots de bain en mettant en scène une seule et unique mannequin, Jennie Runk, une beauté américaine « grande taille » de 25 ans. Calvin Klein, il y a quelques semaines, a fait poser Myla Dalbesiyo (taille 42) aux côtés de ses mannequins (Lara Stone, Jourdan Dunn, etc.). Sans communiqué de presse ni roulements de tambour.

 

Dédramatiser la silhouette

Ces cas sont trop rares. Les effets d’annonce qui voudraient amener le public à saluer des initiatives qui devraient être normales, donnent une impression de complète déconnexion entre la mode et la réalité. Aux Etats-Unis, la taille moyenne est passée du 40 en 1960 au 46. En France, du 38 en 1970 elle tourne aujourd’hui autour du 40 et 42. « Le marché de la mode est structuré par une idéologie qui oppose très clairement beauté naturelle et beauté culturelle, décode Benoît Heilbrunn. La beauté culturelle est fondée sur l’idée qu’il existe des mensurations idéales que les marques vont incarner dans des égéries : un corps svelte, élancé, qui est dans le contrôle des pulsions et des émotions. Ce modèle a pour objectif de vassaliser la cliente en lui projetant un modèle inaccessible, établissant dès lors une relation de pouvoir. La beauté naturelle, elle, implique que toutes les femmes sont belles, même si elles n’en ont pas conscience. »

Dans la catégorie des marques embrassant la beauté naturelle, de nombreuses griffes sont destinées aux « grandes tailles » dont Marina Rinaldi (groupe Max Mara). « Nous dialoguons beaucoup avec la consommatrice, nous sommes très proches d’elle, on l’écoute, on lui parle, explique Lynne Webber, directrice générale de la marque. Le fil rouge de notre communication, c’est la femme et les envies mode qu’elle peut avoir, nous ne limitons pas le discours à la question des tailles. » Ces marques aident les femmes à dédramatiser la silhouette imposée par la mode, elles sont des alliées, des amies qui rassurent. Aux Etats-Unis, Eloquii est en train de s’imposer sur ce marché. Lancée en 2011 par le groupe The Limited (propriétaire de Victoria’s Secret, ancien propriétaire d’Abercrombie & Fitch), et disponible en ligne, elle arrivera chez Nordstrom la saison prochaine, avec l’ambition de devenir le « Zara du plus size ».

Pour ces marques, la relation avec la cliente n’est plus basée sur la frustration mais sur la satisfaction et implique que tout le monde peut être à la mode, qu’importe son physique. Principe noble, mais pas forcément compatible avec certains de nos travers humains. « On se conforme alors à un principe de réalité, analyse Benoît Heilbrunn. Cela contribue au désenchantement des clientes privées ainsi d’idéal. » En mode, comme en tout, peut-on vivre sans fantasme et se satisfaire de soi ?

 

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