Lifting pour homme

BEAUTÉ - C'est un homme d'une cinquantaine d'années qui me téléphone de Toulouse de la part d'un ami que j'ai opéré il y a quelques mois. Il réclame un rendez-vous pour un « ravalement de façade » selon ses propres termes... J'en conclus qu'il s'agit d'un lifting, une opération que plébiscitent de plus en plus d'hommes aujourd'hui.

« Il me faut un rendez-vous rapide.
 

- Très bien, je peux vous voir la semaine prochaine, mardi si vous pouvez.
- Parfait ; comme ça nous pourrons envisager l'opération juste après.
- Ah ? Vous ne savez pas, sans doute, que nous sommes tenus de respecter le délai de réflexion légal d'au moins deux semaines... »

Il faut expliquer cela avec fermeté... (Je me méfie des patients aux décisions trop rapides qui peuvent parfois manquer de réflexion, voire regretter leur décision par la suite). Comme l'explication doit être motivée, il faut dérouler les arguments d'usage :

« Il s'agit d'une intervention chirurgicale et il faut donc un rendez-vous au préalable chez l'anesthésiste, ainsi qu'un bilan sanguin.

- Tout sera fait, je vous l'assure, docteur, dans les meilleurs délais, mais j'ai besoin d'être au mieux pour le printemps, car j'ai des réunions de la plus haute importance et je suis un homme très en vue, dans le domaine des High Tech... C'est pour cela aussi que je préfère me faire opérer loin de chez moi.
- Est-ce que vous fumez ?
- Non, pourquoi ?
- Je n'opère pas les fumeurs pour ce type d'intervention, car les cicatrisations sont toujours très mauvaises chez eux.
- J'ai arrêté il y a plusieurs années.
- Même la cigarette électronique, la « vaporette » avec nicotine ?
- Rien, je vous le confirme. »

Une insistance pour bien marquer l'importance d'une consommation de nicotine... La nicotine fragilise la cicatrisation, les vaisseaux sanguins s'oxygènent moins.

Il existe un risque que la peau soit nécrosée avec une trace brune ou violacée qui pourrait persister. Philippe est catégorique : non, il ne fume pas, répète-t-il de l'autre côté du téléphone.

Il reste sûr de lui et parle avec l'énergie d'un optimiste qui gère sa vie comme le travail : avec volonté une fois que la décision semble mûrement réfléchie.

En attendant notre première rencontre, il faut commencer à préparer un dossier médical.

« Envoyez-moi des photos de face et de profil.
- Très bien, ce sera fait, docteur. »

Je reçois rapidement ses photos sur ma boîte mail. Je découvre alors un homme très séduisant, d'allure sportive, les cheveux légèrement argentés. Je constate, il est vrai, que son cou dénote dans cet ensemble, car il est très graisseux et flasque, avec de nombreux plis. Cela lui donne l'air fatigué.

Le reste du visage est plutôt bien conservé pour un homme de 57 ans.

Il prend l'avion trois jours plus tard pour rallier mon cabinet.

« Bonjour, docteur.
- Bonjour, asseyez-vous. Prenez-vous un café ?
- Non merci.
- Parfait. Je vous examine. »

Le premier examen permet de poser toutes les questions intimes sur le mode de vie des patients. Il est essentiel pour comprendre ce qui est demandé et espéré.

Philippe a beaucoup de charme, 'amateur de femmes' selon ses propos, il partage sa vie avec une concubine qui a trente ans de moins que lui. Il dirige une entreprise de téléphonie en vue à Toulouse et entame une carrière politique : il brigue un mandat électoral. Il insiste sur ce point, soulignant combien il tient à son apparence. Il répète qu'il est très gêné par les nombreux plis du cou, lequel est zébré de rides ; en revanche, il est vrai que son visage n'est pas trop marqué. Nous convenons de réaliser un lifting du visage et du cou avec lipoaspiration localisée.

Un nouveau rendez-vous est pris après quinze jours de réflexion réglementaires et nous nous retrouvons à la clinique ce matin-là pour l'opération.

Il arrive souvent que les patients attendent le matin du jour J avec la mine hésitante et un noeud dans l'estomac. Mais lui affiche ce matin-là un air confiant. Dans son pyjama de bloc vert, il répond sans hésiter aux questions d'usage :

« Êtes-vous bien à jeun ?
- Oui !

Il le dit avec un grand sourire, reprenant :

- Je vous confie ma tête ! Donnez-moi le meilleur. »

C'est à mon tour de sourire ! Je suis en forme ce matin-là, comme tous les matins quand j'opère : ne pas sortir la veille et bien dormir ! Une religion... Car au bloc, la capacité de concentration doit être maximale. Il s'agit d'éliminer tout risque d'erreur. Philippe a opté pour l'anesthésie générale afin de ne rien voir ni entendre selon ses propres termes. Il sera endormi, ce qui est plus confortable pour travailler les chairs.

Au bloc, le travail dure plus de trois heures. Autour de Philippe, endormi dans le pyjama de bloc vert sombre, s'affairent l'infirmière anesthésiste, l'aide opératoire et une infirmière de salle. L'opération n'est pas aisée. Sa peau est épaisse avec une barbe plutôt drue, ce qui ne facilite rien. La peau épaisse est dure à travailler alors que la chair tendre se modèle plus aisément. Je coupe deux centimètres de chaque côté de la face. Il faut tirer la chair jusque derrière les oreilles et vers le front. L'objectif est de remonter les muscles à la bonne place. L'évolution des techniques pour le lifting conduit à ne plus tendre la peau en arrière, mais à la tirer vers le haut.

Puis, il faut couper trois centimètres de chaque côté du cou, lequel est très distendu. Ensuite, il faut recoudre avec quarante points de suture. Aujourd'hui, on fait de petits surjets qui filent sous la peau. Ce ne sont plus des points extérieurs qui risquent de rester visibles ensuite. Ces fils très fins ne font pas de marque, ils sont en 'monocryl' et se résorbent. La peau se recolle bien et naturellement.

Ensuite, le travail n'est pas terminé. En effet, aujourd'hui, les techniques permettent aussi de 'remplir' le visage, car tirer sur la peau contribue à le creuser. C'est pourquoi nous injectons de la graisse dans le visage avant ou après le lifting. Cette graisse est prélevée dans les jambes, au niveau du genou, ou du ventre, par exemple. Puis on la réinjecte avec de petites aiguilles dans le visage après l'avoir filtrée et centrifugée, afin de ne garder que la bonne partie de la graisse.

Lorsqu'il se réveille, Philippe se déclare « content d'en avoir fini ». Il reste à Paris trois ou quatre jours pour une bonne surveillance médicale, avant de repartir à Toulouse. Les fils derrière les oreilles seront enlevés là-bas ensuite, au bout de dix à quinze jours.

Il a géré son intervention comme un projet ou comme une affaire à régler. Lorsqu'il repart, il porte encore des traces d'oedèmes sur le cou, il est encore un peu gonflé sur le bas du visage, mais c'est assez fréquent pour ce type d'intervention. Tout ceci s'estompera au bout de trois ou quatre jours.

Philippe explique aujourd'hui qu'il est comme « débarrassé d'une vieille peau trop lourde à tirer ». Il a repris ses activités avec une nouvelle envie d'entreprendre, il est comme régénéré par le changement qui s'est opéré sur lui. Il estime pouvoir mieux affronter « les jeunes loups du business » à Toulouse, il déclare que c'est comme s'il disposait de nouvelles armes dans cette guerre qu'est la vie. Le travail est un lieu de combat qu'il s'agit de mener lorsque le jeunisme condamne ceux qui « font vieux ». Il décrit cette agréable impression d'avoir dix ans de moins et sans doute est-ce ce qu'il cherchait : une image qui le rende plus fort à ses yeux comme aux yeux des autres.

L'apparence prend de plus en plus d'importance au moment de la procédure de recrutement. Autrefois, une personne experte faisait l'affaire avec son CV quelle qu'ait été son image. Aujourd'hui, cette image fait la différence. Un employeur recrutera en priorité une personne belle et sûre d'elle. La société est en mutation, c'est-à-dire qu'elle se transforme en fonction de modèles auxquels on se réfère : comédiens et mannequins véhiculent des images auxquelles s'identifier. Les défauts sont souvent gommés via Photoshop.

Concrètement, dans la vie professionnelle, cela se traduit par des difficultés pour certains. Si une personne se présente avec des défauts physiques trop évidents, elle sera écartée au profit d'une personne à la plastique impeccable. C'est ainsi que des patients viennent consulter, afin de surmonter ce qu'ils considèrent comme un handicap sérieux. Ils expriment une angoisse à l'encontre de ce dernier, en insistant sur l'impact psychologique que cela peut avoir sur eux : perte de confiance en soi, risque de perdre son poste au travail... Ils constatent également que certains collègues connaissent des déboires professionnels dus à une apparence physique qui les dessert. Ils sont de plus en plus nombreux à franchir le cap pour réparer ce qu'ils considèrent comme un obstacle pour réussir leur carrière professionnelle...

Retrouver confiance

Florian s'assoit face à moi avec aisance. Ce jeune cadre dynamique de 35 ans m'est adressé par un de ses amis que j'ai opéré quelques années auparavant. Il a un visage expressif, charismatique, des grands yeux bleus avec une joie de vivre qui émane de tout son être. J'avoue m'être demandé pourquoi il avait pris rendez-vous.

« Alors docteur ? »
Il m'interroge avec un sourire.
« Que me proposez-vous ? demande-t-il malicieusement.
- Vous me posez une colle. Je ne vois pas ce que je peux faire pour vous. Vous n'avez rien qui me choque en apparence. »

Qu'on parle du nez, des seins, du visage, on voit en filigrane cette image virtuelle que les patients ont élaborée dans leur imaginaire ; si on analyse plus précisément les demandes à partir d'indices, on observe un besoin précis.

Les seins d'une « autre »

Par une belle après-midi ensoleillée, un jeune couple entre dans mon bureau. Elle a 24 ans et lui un peu moins de trente. Ils ont tout pour qu'on les qualifie de « modernes » : lui dans un costume près du corps, parfaitement coupé ; elle, presque fashion victim avec ses chaussures à plate-forme et ses talons vertigineux, très mince dans sa jupe courte et très serrée. Elle sourit. Il est sûr de lui, avec son Blackberry posé à plat sur l'angle de mon bureau, devant lui. De temps en temps, il jette un coup d'oeil, perpétuellement branché à ses e-mails.

« Qu'est-ce qui vous amène ?
- Eh bien, docteur, nous avons un projet d'opération, dit-elle, avec un sourire mystérieux.
- Oui ? Lequel ?
- Nous venons consulter pour des prothèses mammaires, ajoute-t-il à son tour, très sûr de lui.
- Pourquoi ?
- Eh bien, docteur, je trouve que les seins de ma femme... sont, euh... ne sont pas... assez volumineux. »

Il a prononcé les derniers mots assez rapidement. Presque gêné. En questionnant davantage l'homme et la femme, il devient aisé de comprendre qu'ils dévorent la vie à pleines dents, avec des week-ends et des voyages au bout du monde. Ils parlent un langage franco-anglais et se jettent d'incessants coups d'oeil. Ils ont un mode de vie qui correspond à leur génération, très endettés mais bien payés. Lui est dans l'information, elle est dans la mode.

Puis elle sort de son sac à main une clé USB :

« Tenez, docteur, j'ai des photos de ce que j'aimerais. Je veux vous montrer.
- Ah ? Des photos de qui, de quoi ?
- Des photos de lingerie célèbres pour leurs leçons... Vous voyez ce que je veux dire. »

Elle me montre des photos que je reconnais pour avoir été à l'affiche partout dans la presse féminine, affichant les rondeurs généreuses des mannequins spécialisée dans la lingerie. Je l'invite à passer dans la pièce voisine pour se déshabiller. Elle me montre sa poitrine. J'ai à peine le temps de découvrir de jolis seins, certes petits, mais bien proportionnés. Elle est déjà en train de les comparer avec les photos. Elle jette un regard de temps en temps en direction de son mari.

« Est-ce vous qui voulez modifier vos seins ? Ou bien est-ce la volonté de votre mari ?
- Eh bien, docteur... c'est lui qui a très envie. »

Il acquiesce. Je les observe et je marque un silence. Puis je me tourne vers elle et je lui explique que la pose de prothèse n'est pas un geste complètement anodin. J'ajoute qu'elle doit réfléchir. La situation est complexe : elle veut cette opération, qui est un acte chirurgical grave ayant des implications sur son corps pour faire plaisir à son mari, et non pas pour elle-même. Ceci est contraire au principe même d'intégrité de son corps qui est propre à chacun.

Finalement, les circonstances vont faire évoluer la situation. En revenant deux ou trois mois plus tard, avec un sourire triomphant, elle a extirpé de son sac un test de grossesse :

« Il est positif, docteur !
- Ah ? Vous êtes heureuse, non ?
- Oui. Mais... »

Je ne comprends pas bien pourquoi elle a pris rendez-vous. Je lui pose la question :

« Vous voulez me demander quelque chose ?
- Oui, docteur : peut-on faire quand même l'intervention, en tout début de grossesse ? »

Un moment, je me demande si c'est une plaisanterie, si elle ne joue pas un mauvais tour.

Bien sûr, il n'en est pas question, la réponse aussitôt a été claire et sans détour : non. Il convient d'être rigoureux quant à la réponse. Il est impossible de poser des prothèses mammaires pendant une grossesse. Dans un cas comme celui-ci, il faut être catégorique afin de ne pas mettre la vie de la patiente et celle du bébé en danger. Cette patiente n'est jamais revenue par la suite. Peut-être la maternité lui a-t-elle fait découvrir une autre part d'elle-même, peut-être son mari l'a-t-il vue avec un regard différent ? Mais cette histoire montre à quel point l'image (celle que cette patiente a montrée avec la photo de ce corps voluptueux dans une lingerie qui multiplie les leçons) a créé un désir prescripteur. L'homme a désiré une femme en image sur une photo publicitaire et a voulu que sa femme lui ressemble.

Ainsi, l'image médiatise la relation à l'autre, au point qu'elle peut prescrire un changement physique important. En effet, ce type d'intervention n'est pas un acte banal. La pose d'implants mammaires nécessite une anesthésie générale, l'incision de la peau, la pose de prothèses que l'organisme doit tolérer. Cette jeune femme, en acceptant de faire plaisir à son mari, voulait marquer sa volonté de coller à une image, comme pour entrer dans un costume qui le séduira davantage. Le regard de l'homme qu'elle aime lui fait désirer un corps conforme à ce qu'il veut. La façon dont l'autre contemple détermine en partie la décision de changer d'apparence. Et l'intensité de la relation à cet autre rendra l'intervention d'autant plus décisive qu'on lui accorde de l'importance.

Cette consultation à trois personnes - le chirurgien, la patiente et la personne qui projette sa femme dans l'image d'une autre - montre à quel point l'on vit dans l'image dont le diktat prescrit les opérations de chirurgie pour modifier les apparences.

L'image médiatise également la relation que l'on a avec soi-même. Elle inspire mille craintes. En particulier l'image virtuelle dont la puissance génère de grandes émotions. Ainsi, certaines patientes viennent consulter parce qu'elles imaginent avec effroi leur visage dans dix ou vingt ans ; cela procède de l'attitude générale, puisque tout le monde consulte, et que la plupart des patients sont extrêmement précis dans leur volonté esthétique.

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