Dahlia: laissez pousser le prince charmant !

By www.touwensa.net septembre 05, 2015 390

Touwensa (Agences) Mokhtar TRIKI

Certains avaient un temps pensé à lui pour garnir nos assiettes. Il est devenu la fleur star de la rentrée et le chouchou des paysagistes en vogue.

Si la rose est la reine du jardin, alors le dahlia en est le prince charmant. Les amoureux des plates-bandes savent bien que la fin de l'été leur donne toujours raison. Il n'y a qu'à regarder par-dessus les murs pour s'en persuader: gros comme des choux, échevelés comme des jeunes filles, timides ou fanfarons, en balle, en lampion, en soleil, ils font déferler un océan de couleurs sur nos massifs qui n'a pas son pareil.
 

On sait qu'ils sont nés au Mexique où les Aztèques les vénéraient et que Francisco Hernandez, un médecin espagnol envoyé par Philippe II au début du XVIIe siècle, les y découvrit. On sait aussi qu'ils passèrent par l'île de la Réunion en 1712, avant d'atterrir en Ardèche chez les frères Montgolfier qui voyaient, dans leurs bulbes farineux au goût d'artichaut, une éventuelle parade aux disettes.
 

Mais l'aventure fit long feu: la saveur du tubercule était trop forte et la pomme de terre pointait déjà son délicieux museau. L'avenir du dahlia (ainsi nommé en 1791 par Cavanilles, directeur du Jardin royal de Madrid en hommage à Anders Dahl, botaniste suédois) ne serait donc pas gastronomique mais décoratif.
 

En 1802, la fleur fait son entrée officielle dans les jardins de France, encensée par André Thouin, ami de Buffon, qui lui consacre, deux ans plus tard, un mémoire. Dès lors, rien n'arrêtera la géante que «travaillent» jardiniers et horticulteurs.
 

À Paris, Passy, Orléans, Troyes, Lille, Écouen, Saint-Brieuc ou Ivry, on s'attache à faire rapetisser la belle (dame, 2,50 mètres, ça fait du chambard!) et à obtenir, par croisement, greffe ou semis, des variétés incroyables. On s'échange les graines, on expérimente, on correspond avec l'Europe entière car les Anglais, les Allemands, les Hollandais, les Suisses sont aussi chipés de ces feux d'artifice végétaux dont la fantaisie paraît inépuisable.
 

Le dahlia va trouver son heure de gloire après la Seconde Guerre mondiale avec la flambée des jardins ouvriers où on le marie avec la tomate, sa compatriote et sa jumelle potagère
 

Rien ne semble impossible: on invente des races géantes aux fleurs grosses comme des soupières, des naines de la taille d'un bouton de culotte, des cœurs frisés comme de l'astrakan, des pétales tuyautés longs et pointus appelés «cactus», d'autres, compliqués comme des pliages chinois, des géants, des doubles, des nains, des humbles, simples comme des marguerites.
 

Tous les coups sont permis y compris dans la couleur qui, du blanc pur jusqu'au presque noir, caresse toutes les nuances du jaune, du rouge, du rose, du vert ou de l'orangé (le bleu est hélas exclu mais les chercheurs n'ont pas dit leur dernier mot), traçant sur les corolles des géométries improbables ou régulières qui illuminent à la manière d'un pinceau, tantôt le pourtour, tantôt le cœur des fleurs. L'engouement est tel qu'au milieu du XIXe siècle, on compte déjà plus de 3000 variétés de dahlias.
 

Un dahlia qui va trouver son heure de gloire après la Seconde Guerre mondiale avec la flambée des jardins ouvriers où on le marie avec la tomate, sa compatriote et sa jumelle potagère. Bonne fille, la plante est facile mais requiert, pour être belle, à peu près les mêmes soins que les légumes. Sensible à l'oïdium et aux viroses que lui transmettent les pucerons, il faut la surveiller comme on surveille les poireaux ou les panais. Ça tombe bien: tant qu'on est à butter les patates, on jette un œil sur les dahlias et on les débarrasse des boutons fanés pour qu'ils fleurissent jusqu'aux premières gelées. En contrepartie, ces grandes bringues sont de toutes les fêtes. Elles ornent, dès le 15 août, les autels de la Vierge, célèbrent la Saint-Fiacre qui est le patron des jardiniers, et forment jusqu'à la Toussaint de consolants coussins à poser sur les tombes de ceux qu'on a aimés.
 

Un temps détrôné par des espèces plus faciles à vivre, le dahlia souffrit, avec son frère le glaïeul, de l'ostracisme de certains ayatollahs qui le jugeaient par trop «populaire»
 

Un temps détrôné par des espèces plus faciles à vivre, le dahlia souffrit, avec son frère le glaïeul, de l'ostracisme de certains ayatollahs qui le jugeaient par trop «populaire». «Les gens veulent de l'increvable que l'on n'arrose pas…, dit Claude Bureaux qui, cinquante ans durant, veilla sur eux (et sur d'autres) au Jardin des Plantes à Paris.
 

Son charme resurgit à présent avec autant de force que ses tiges gorgées de sève. En témoigne, au château de la Bourdaisière, à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire), le Dahliacolor de Louis-Albert de Broglie, qui, sur 5000 m2, présente une collection de 253 variétés. Histoire de commander malin, on trouvera chez Ernest Turc, les bulbes que l'on plantera dès que le feu de l'hiver sera éteint.

Il faut aller de toute urgence se promener dans cet écrin imaginé par le paysagiste Louis Benech pour y admirer des splendeurs venues du monde entier, comme cet 'Imperialis', chou mauve et guatémaltèque haut comme un plafond, ces ‘Mystic Lady', récentes obtentions néo-zélandaises à feuilles bronze et fleurs jaunes et rouge vif, ce ‘Gatsby' à tête géante et orangé strié de rose ou encore -on n'est jamais mieux servi que par soi-même- ce ‘Château de la Bourdaisière', semblable à un camélia où une mandarine qui aurait frayé avec une améthyste.

 

De quoi rendre jaloux Louis de Funès à qui, en son temps et parce qu'il les aimait autant que les roses, Louis Laurent, un horticulteur de Crevant-Aigurande (Indre), avait dédié un gros dahlia rouge bordé de crème…
 

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